Tout le monde a le droit de se défendre. Mais quand on est une congrégation religieuse, il me semble qu’on est tenu à un standard moral… supérieur.

C’est du moins ce que prêchaient les Frères maristes à ceux qui étaient sous leur supervision au siècle dernier.

Pourtant, face à une action collective de leurs victimes d’agression sexuelle, les avocats des frères utilisent des trucs qui ne feraient pas du très bon matériel de sermon.

Plus tôt cet automne, les Frères maristes ont tenté de déposer en preuve un rapport d’expert sur « les us et coutumes de l’époque ». L’époque étant essentiellement tout le XXe siècle. L’expertise servirait à « éclairer le tribunal sur le contexte social », afin de « bien cerner la gravité de la faute » des frères. Car pour bien juger de la gravité des agressions sexuelles, et du fait que la congrégation ne les a pas empêchées, ou a protégé les pédophiles, il faudrait « prendre en compte les mœurs, les connaissances et les façons de faire de l’époque ».

Le juge Sylvain Lussier n’a pas été impressionné. Il a rejeté la demande d’expertise.

Non pas que le « contexte historique » ne soit jamais pertinent. Dans une autre affaire impliquant une communauté religieuse, on a tenté de distinguer par expertise les « corrections physiques », légalement permises naguère, des voies de fait pures et simples.

Mais dans le cas des Frères maristes, il s’agit d’agressions sexuelles : il y a 10, 100 ou 200 ans, c’était un crime, donc une « faute » civile automatiquement.

Tenter, 50 ans après les faits, de faire jouer « l’ignorance » des agresseurs ou celle de leurs protecteurs complaisants est particulièrement odieux.

Le juge Lussier dit qu’il lui « répugne » de voir qu’on invoque cette « méconnaissance de faits clairement interdits par le Code criminel, et constituant très certainement des péchés capitaux selon la doctrine de l’Église », pour tenter de faire « excuser la conduite de ceux qui les perpétraient ».

Dans cette affaire, il y a pire que cette tentative somme toute grossière d’édulcorer les crimes du passé.

Les Frères maristes ont tenté de soustraire de la poursuite deux « fonds » créés il y a une vingtaine d’années, où auraient été envoyés pas moins de 160 millions de la congrégation.

Officiellement, ces fonds ont été créés pour veiller à la retraite des quelques dizaines de frères toujours de ce monde.

Mais comme par hasard, l’argent a été placé dans ces fonds entre 1999 et 2004, au moment où éclataient les premiers scandales sexuels dans l’Église catholique.

Pourquoi faire des fonds séparés si le seul but est de gérer l’argent que la communauté a toujours géré ?

Un des arguments juridiques, maintes fois plaidé par des communautés religieuses, est qu’on ne peut poursuivre des entités créées il y a 20 ans pour des actes commis il y a 30, 40, 50 ou 60 ans.

Les juges canadiens n’ont pas été dupes de ces manœuvres : l’argent des communautés a tout simplement changé d’adresse, mais c’est la continuité financière de la même organisation.

En janvier, donc, le juge Lussier avait aussi décidé que ces fonds seraient inclus dans la poursuite. Les Frères en ont appelé. Sans succès.

Quelque part l’an prochain ou en 2025, donc, un procès aura lieu – ou un règlement.

Mais songez tout de même qu’une congrégation qui prêche les vertus catholiques tente de mettre à l’abri de ses victimes des fonds considérables… fonds recueillis par des donations des parents mêmes de ces victimes… et qui ont profité à l’abri du fisc.

C’est chrétien, ça ?

Aux États-Unis, les poursuites de victimes d’agressions sexuelles sont si nombreuses que l’Église catholique se met en faillite diocèse par diocèse. San Francisco, Oakland, Baltimore, Albany… Au dernier décompte, 36 diocèses ou organisations religieuses s’étaient mis sous la protection de la loi sur la faillite américaine.

Cela peut être utile pour éviter des procès, et les organisations de victimes disent que c’est une autre manière de les faire taire. Mais le fait est que depuis 20 ans, l’Église catholique des États-Unis a versé plus de 4 milliards canadiens aux victimes d’agressions sexuelles. Les lois de 18 États ont fait disparaître la prescription, si bien qu’on peut poursuivre pour des faits remontant à 50 ou 70 ans.

La faillite n’est pas pour autant un passe-droit ; pas plus tard que mardi, un juge de Long Island a refusé un règlement de 200 millions tant que le diocèse local (en faillite) ne lui apporterait pas toute la documentation. La faillite peut même permettre une distribution ordonnée des compensations.

La prescription a aussi été abolie au Québec – et elle était toute relative, car on pouvait déjà invoquer avec succès le traumatisme et l’impossibilité psychologique d’agir pour poursuivre après 30 ou 40 ans.

On n’a pas vu de faillites ici, notamment parce que ce sont presque exclusivement les communautés religieuses assez bien nanties, et non les paroisses, qui ont été poursuivies au Québec – les communautés enseignantes surtout. Au Québec, c’est la désertion des églises qui menace les paroisses de banqueroute.

On verra ce qui arrivera du cas des Maristes, qui suit celui des Clercs de Saint-Viateur, des Rédemptoristes, des frères de Sainte-Croix, etc.

Les Frères maristes ont pu faire des centaines de victimes au Québec, d’après Pierre Boivin, avocat de « B. », le représentant du groupe.

Mais ces « hommes de Dieu » se battent encore pour minimiser les crimes, diluer leur responsabilité, placer leur argent hors d’atteinte.

C’est vraiment chrétien, ça ?

La photo qui accompagnait ce texte à l’origine a été retirée, car elle montrait le Séminaire des Pères maristes à Québec (aujourd’hui appelé Collège mariste), une communauté religieuse distincte de celle des Frères maristes. Nos excuses.