Trois petits mois.

C’est tout le temps qu’aura duré le gel des embauches que la Ville de Montréal s’était imposé, en octobre dernier, dans le cadre de compressions budgétaires de 115 millions de dollars1. L’objectif était de finir l’année sans tomber dans le rouge, ce qui fut chose faite.

Les vannes sont sur le point de se rouvrir.

La taille des effectifs repartira bientôt en hausse, ont annoncé mercredi les dirigeants de la métropole, pendant la présentation du budget municipal.

Au total, 400 nouveaux employés s’ajouteront l’an prochain, pour un total de 25 162 travailleurs à temps plein.

Pour la cure minceur, il faudra donc repasser.

Les plus hauts fonctionnaires et élus de Montréal ont affirmé sur tous les tons, pendant des heures, avoir fourni un effort maximal pour resserrer les dépenses de l’appareil municipal.

À preuve, selon eux : une centaine de postes seront supprimés pendant la prochaine année, des jobs qui « ne sont pas reliés directement à la prestation de services ».

N’eût été cet effort monumental de l’administration, il y aurait eu 500 embauches supplémentaires l’an prochain.

Les contribuables l’ont échappé belle !

Cela m’apparaît plutôt comme un effort minimal à l’égard de la gestion des effectifs, et je suis loin d’être le seul à le déplorer.

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain a accueilli plus que froidement ce budget « préoccupant », en demandant : « Où sont les économies ? » Le chef de l’opposition Aref Salem a quant à lui dénoncé un budget « scandaleux » pour les contribuables.

Sans parler des milliers de propriétaires de résidences et d’immeubles commerciaux, qui devront encaisser, sans aucun recours possible, des hausses moyennes de leur compte d’impôt foncier de 4,9 % et 4,6 % l’an prochain.

Bref, la pilule passe mal.

Il y a du bon dans ce budget, comme ces investissements considérables liés aux changements climatiques, mais la hausse galopante des effectifs de la Ville reste franchement inquiétante.

En fait, il s’agit d’une tendance lourde depuis le début du mandat de Valérie Plante, en rupture marquée avec la réduction des effectifs qui avait été amorcée par l’administration de Denis Coderre, au milieu des années 2010.

Mon collègue Francis Vailles avait dressé un topo très concret de la situation à l’époque. Entre 2014 et 2016, la Ville de Montréal avait réduit de 624 son nombre d’employés, et l’objectif était de l’abaisser de 2200 au total au bout de quatre ans, dans un effort de rigueur budgétaire2.

Selon ce plan de match, la Ville aurait compté 20 200 employés à la fin de 2018. On connaît la suite : Montréal a plutôt embauché des milliers de travailleurs supplémentaires au cours des dernières années, et ça continuera.

Ça fait beaucoup de fonctionnaires au pied carré.

Serge Lamontagne, le directeur général de la Ville de Montréal, a offert une certaine ventilation des nouveaux postes qui seront créés l’an prochain. Il y aura 107 policiers, 9 brigadières, 12 informaticiens, 25 préventionnistes à la sécurité incendie, 3 experts en cybersécurité au service de l’eau…

Plusieurs de ces emplois seront financés par des subventions de Québec, il faut le dire.

La moitié des 400 nouveaux postes tombent cependant dans la catégorie plus nébuleuse des « besoins spécifiques » des arrondissements. Ceux-ci ont toute la liberté et l’autonomie de recruter selon leurs impératifs, a-t-on rappelé mercredi.

La dotation des arrondissements recèle une part de mystère. Certains embaucheront massivement l’an prochain (+ 36 employés dans Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce), tandis que d’autres supprimeront des postes (- 4 à Montréal-Nord).

Le ratio employé/citoyen varie du simple au double, dans certains cas.

Au total, les coûts de la main-d’œuvre représenteront 39 % du budget de la métropole l’an prochain, soit 2,7 milliards. C’est une portion importante, mais quand même moins élevée qu’il y a quelques années, alors que leurs salaires et autres avantages gobaient 47 % du budget.

Il reste que dans le contexte de forte inflation actuelle, bien des Montréalais auraient souhaité au minimum un gel des embauches pour réduire (un peu) les hausses de taxes. En misant sur les nouveaux postes utiles, comme les brigadières, tout en élaguant à certains endroits moins névralgiques.

Outre la main-d’œuvre, les dépenses globales de la Ville continueront de grimper l’an prochain. Le budget, équilibré, s’établira à 6,99 milliards, une hausse de 235 millions sur un an (+ 3,5 %), moindre que celle de l’année précédente (+ 4,7 %). Sur ce point, on peut saluer l’effort de l’équipe des finances.

L’administration Plante assure que toutes les dépenses ont été passées en revue depuis un an pour réaliser le plus d’économies possible. Et que cet exercice se poursuivra tout au long de 2024. Maja Vodanovic, membre du comité exécutif, a donné quelques exemples concrets, sans toutefois les chiffrer.

La Ville a entre autres centralisé le traitement des sols excavés pendant la réfection des rues, qui sont maintenant tous envoyés au même site. Le vieux bitume est concassé et tamisé par des employés municipaux, puis réutilisé à d’autres fins, ce qui évite de devoir acheter du petit gravier pour le remplissage. On économise « énormément d’argent », a-t-elle avancé.

La municipalité a aussi rapatrié à l’interne le déneigement de certains quartiers, ce qui devrait entraîner de nouvelles embauches, mais générer du même coup des économies sur les contrats externes.

Un véritable resserrement a été fait à plusieurs égards par l’administration en place, dans un contexte d’inflation gigantesque de tous les contrats publics et autres matières premières. Les services aux citoyens seront préservés et la Ville maintiendra ses investissements majeurs pour remettre à niveau ses infrastructures vieillissantes. C’est appréciable.

Mais les contribuables sont en droit de s’attendre à une rigueur encore plus grande, eux qui ont subi des hausses de taxes cumulatives de 9 % depuis deux ans.

Plus de rigueur dans les dépenses, dans les embauches, et dans la gestion de tous les organismes paramunicipaux comme l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), teinté par le scandale depuis une semaine.

Car si la Ville s’est serré un peu la ceinture, pour bien des Montréalais, c’est l’asphyxie financière qui menace à court terme.

1. Lisez l’article « Montréal en mode compressions » 2. Lisez la chronique de Francis Vailles publiée en 2016