Croyez-vous plus à la théorie du chaos ou au karma ? Peu importe votre réponse, la dernière semaine politique à Québec vous a donné de bons arguments.

Il y avait un peu de karma dans la défaite de la CAQ dans Jean-Talon. Ce revers était signé Joëlle Boutin. En juillet, seulement neuf mois après sa réélection, la députée avait décidé que son travail était trop dur pour son horaire familial, et aussi pour son orgueil. Chagrinée de ne pas avoir été nommée ministre, elle a rompu unilatéralement le contrat avec les électeurs de sa circonscription de Québec. Sa désertion a provoqué une partielle qui a mené à une défaite pour son parti et à une des pires semaines du gouvernement Legault.

Jusqu’ici, l’univers semble avoir un sens. La faute a été punie. Mais c’est peut-être un peu plus compliqué.

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Éric Caire, ministre de la Cybersécurité et du Numérique

Mme Boutin ressemble au papillon de la théorie du chaos, celui dont le battement d’ailes au Brésil finit par déclencher une tornade au Texas. Tout a commencé par une décision en apparence banale : nommer Éric Caire ministre il y a un an. Il ne restait alors plus de place pour un autre ministre de la Capitale-Nationale comme Mme Boutin, son ancienne chef de cabinet, pressentie pour le remplacer.

La séquence ressemble à ceci : Mme Boutin démissionne, la CAQ perd, François Legault s’alarme et ressuscite le rêve d’un troisième lien, et le Québec se gratte collectivement la tête en cherchant à comprendre ce qui se passe.

Cette tempête imprévue pourrait s’accompagner d’une facture considérable. En plus d’avoir coûté environ 600 000 $ en provoquant une élection inutile, elle a relancé – indirectement et bien malgré elle – l’idée d’un pont entre Québec et la Rive-Sud ainsi que celle d’un tunnel consacré au transport collectif.

Les derniers jours rappellent que si la politique est imprévisible, c’est parce que les évènements les plus disruptifs sont parfois des accidents dont les effets prennent du temps à se mesurer.

Le karma ou le chaos sont également deux hypothèses valables pour expliquer la domination péquiste dans Jean-Talon.

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Le péquiste Pascal Paradis, qui a été élu dans Jean-Talon lundi dernier, avec Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Là aussi, tout a commencé par un incident qu’on jugeait banal à l’époque. En septembre 2022, Marie-Ève Rancourt, candidate solidaire dans Camille-Laurin, était surprise à retirer des boîtes aux lettres les dépliants de son adversaire péquiste Paul St-Pierre Plamondon. Elle devait se dire que le combat entre le Bien (incarné par elle-même) et le Mal (représenté par tous les autres) justifiait cette indélicatesse.

On connaît la suite. Elle s’est désistée et PSPP, qui était auparavant négligé, s’est fait élire. Une année plus tard, le PQ est soudainement deuxième dans les sondages nationaux, devant les libéraux et les solidaires, qui sont d’une humeur rageuse.

L’avant-campagne a également été marquée par un épisode d’arroseur arrosé. En août, La Presse apprenait que le candidat péquiste, Pascal Paradis, était intéressé par une candidature sous la bannière de la CAQ en 2022. La CAQ a dévoilé une partie de ses textos privés avec M. Paradis. L’affaire a pris la forme d’un boomerang qui lui est revenu au visage. Impossible de savoir à quel point cela a influencé le résultat. Mais chose certaine, ça n’a pas aidé M. Legault.

Avec son image de « l’effet papillon », le mathématicien et météorologue Edward Lorenz a popularisé la théorie du chaos au début des années 1970. Il a dit ensuite avoir été mal compris du grand public.

Il ne voulait pas affirmer qu’avec le temps, les évènements isolés provoquent des conséquences de plus en plus imprévues et improbables. Il s’intéressait plutôt aux systèmes « dynamiques », dont l’interdépendance des éléments les rend sensibles aux petites variations initiales. Ces systèmes sont marqués par des « attracteurs », des tendances de fond vers lesquelles le système converge.

C’est bel et bien cela qui s’observe dans les dernières péripéties de la politique québécoise.

Dans une analyse, les faits nouveaux retiennent d’abord l’attention. Mais ce qui ne change pas est tout aussi important.

Dans Jean-Talon, la trame de fond ressemblait à ceci : un gouvernement engagé dans des réformes complexes en santé et en éducation ainsi que dans une négociation difficile avec le secteur public, alors que les services aux citoyens ne répondent pas aux attentes et que l’inflation et la crise du logement font mal au portefeuille.

Pour le PQ, le pattern ne change pas non plus. Plus le parti a de chances de gagner, plus la question de l’indépendance refait surface. Le chef pourrait à nouveau être pris avec l’habituel dilemme : promettre un référendum ou un bon gouvernement. Si PSPP choisit la prudence, il perdra un peu de son aura d’authenticité et d’idéalisme.

Quant à M. Legault, le destin pourrait lui faire jouer un rôle imprévu. Si le PQ poursuit son ascension, miser sur la peur du référendum deviendra une stratégie irrésistible. Comme ce vieux roi de France qui s’était converti pour consacrer son règne, lui aussi pourrait finir par « brûler ce qu’il a adoré ».

Car en politique québécoise, il y a deux points de convergence. La santé et l’éducation finissent toujours par user les gouvernements. Et pour la question nationale, la clôture est un endroit sur lequel on ne peut pas rester assis longtemps en équilibre.