Admettons. Admettons que d’une certaine façon, il pourrait y avoir une explication rationnelle derrière la décision surprise de François Legault de raviver le rêve d’un troisième lien routier entre Québec et Lévis. Essayons de plonger dans sa tête, si c’est cosmiquement possible.

Dans le point de presse du chef caquiste mardi, on a beaucoup souligné le retour du « troisième lien ». Mais le mot le plus important venait juste avant : « consultation ».

Pour M. Legault, cela pourrait se transformer en sortie de secours. Afin de raviver un nouveau projet de transport routier sur la Rive-Sud, et afin aussi de s’enlever des mains le dossier brûlant du tramway.

Au lendemain de la défaite cinglante dans Jean-Talon, M. Legault semblait en état de choc. Il voyait disparaître sa mainmise sur la Capitale-Nationale.

L’émotion explique en partie sa réaction, mais il y a plus.

À Montréal, on juge parfois que la région de Québec est chouchoutée. Mais en regardant de plus près, une autre image apparaît. Les poids lourds du gouvernement caquiste – M. Legault, Pierre Fitzgibbon, Eric Girard et Christian Dubé – viennent du Grand Montréal. Le premier tronçon du REM est entré en fonction, le reste du chantier avance, le prolongement de la ligne bleue débloque et on étudie maintenant un projet pour un REM de l’Est.

Que reste-t-il pour Québec ? Un troisième lien pour le transport collectif, vendu comme un prix de consolation, et pour lequel les avis se partagent entre deux camps : ceux qui n’en veulent pas et ceux qui n’y croient pas. Et le tramway lancé par les libéraux, pour lequel l’intérêt local a diminué dans la dernière année.

Le coût du tramway doit être mis à jour d’ici la fin de l’automne. Tout indique qu’il augmentera massivement.

M. Legault répète que ce projet appartient à la Ville de Québec. Ce n’est pas faux, mais c’est le gouvernement qui le finance. Et donc, en fin de compte, celui qui décide.

Le choix s’annonce déchirant pour les caquistes. Plusieurs d’entre eux appuyaient à reculons le tramway. Ce serait beaucoup leur demander de maintenir cet appui si une portion significative de leurs sympathisants n’en voulait plus.

Une consultation – peut-être un référendum – serait une façon de sauver la face. M. Legault pourrait prétendre avoir à la fois respecté sa parole et écouté les citoyens.

Cette hypothèse expliquerait la nervosité du maire de Québec, Bruno Marchand, qui a défendu avec une rare combativité son tramway mardi.

Pour la CAQ, une consultation permettrait de courtiser à nouveau la Rive-Sud avec un autre mot qui réapparaît sur le radar caquiste : « pont ».

À Ottawa, le gouvernement libéral minoritaire ne veut pas financer un tunnel ou un pont routier – le programme actuel est réservé aux infrastructures vertes. Mais la perspective d’une victoire des conservateurs fédéraux pourrait changer le calcul…

À son retour en politique en 2011, M. Legault se donnait la posture de l’ancien homme d’affaires indépendant de fortune. Il ne devait rien à personne. Armé de son courage, il prendrait les décisions difficiles pour redresser le Québec. Il ne chercherait pas à plaire à tout prix. Car pour lui, le pouvoir n’était pas une fin.

Ça ne paraissait pas mardi. On avait l’impression d’entendre un homme éconduit, suppliant dans le cadre de porte.

Pour plaire, il semble prêt à abandonner une partie de l’argumentaire qui justifiait la mort du troisième lien routier.

Le tunnel routier posait plusieurs défis techniques, à cause de la pente dangereuse pour les camions ou de la stabilité incertaine du sol. Avec un pont, ce serait différent. Mais les autres objections sont aussi valides pour le pont que pour le tunnel.

En avril, M. Legault concluait que l’achalandage routier était désormais trop faible pour dépenser autant de milliards. La CAQ disait vouloir maintenant miser sur le transport collectif, freiner l’étalement urbain, réduire la dépendance à l’auto solo et diminuer le nombre de voitures.

Est-ce encore le cas ? Chose certaine, s’il est emballé par son idée d’un tunnel consacré exclusivement au transport collectif, le secret reste bien gardé.

Pour construire un pont, les options sont limitées. Il y en a deux : « défigurer » l’île d’Orléans selon les anciens mots de M. Legault lui-même, ou construire proche de Saint-Nicolas, ce qui forcerait encore les gens de Lévis à faire un détour vers l’ouest avant de se rendre à Québec. Il n’y a pas si longtemps, cela ne l’intéressait pas. La consultation pourrait lui servir de prétexte pour changer d’idée.

Bien sûr, il n’y a rien de mal à consulter. Après tout, les résidants de la Rive-Sud de Québec ont des préoccupations légitimes, comme l’engorgement à la tête des ponts et la vétusté de ces infrastructures situées une à côté de l’autre.

N’empêche qu’il est étonnant que M. Legault recommence à s’en préoccuper au lendemain de la défaite caquiste dans Jean-Talon. Le troisième lien n’y était pas un enjeu. S’il a eu un impact, c’est sur la crédibilité de la parole du premier ministre.

Le dossier a donné l’impression qu’il était prêt en campagne électorale à étirer dangereusement l’élastique de la vérité pour gagner des votes. Cette impression, il ne fait que la renforcer aujourd’hui.

Mais il pense probablement déjà à l’étape suivante. À une façon de se faire le moins mal possible avec le tramway tout en vendant un nouveau rêve parrainé par les conservateurs.

C’est toutefois un pari risqué. Des gens pourraient se dire : on veut bien croire sa parole, mais le problème, c’est de savoir laquelle choisir.

RECTIFICATIF : Mardi, j’ai écrit que la victoire du PQ dans Jean-Talon constituait son premier siège conquis dans une partielle depuis Kamouraska-Témiscouata en 2010. En fait, le plus récent siège ravi par le PQ dans une partielle remonte à juin 2012 dans Argenteuil, aux dépens des libéraux. Mes excuses.