La femme en âge d’être grand-mère a montré son doigt du milieu au cycliste : « Va sur la piste cyclable ! »

David Desjardins roule entre 300 et 450 kilomètres par semaine dans la région de Québec, depuis des années.

Et là, encore une fois, il vivait une altercation avec une personne conduisant un char. Cette fois : une femme en âge d’être grand-mère.

Réponse polie du chroniqueur de L’actualité : « J’ai le droit d’être sur la route, madame. »

Et c’est rigoureusement vrai : les cyclistes ont le droit d’être sur (presque) toutes les routes. Même s’il y a une piste cyclable à dix minutes d’où ils se trouvent.

Réplique de la dame : « Maudit mange-marde ! »

Pour David, les problèmes de roule-ensemble dans la région de Québec étaient traditionnellement une affaire rurale. Il se faisait frôler par des enragés sur des routes de campagne. Désormais, à la campagne, ça va mieux, dit-il.

Mais ces derniers temps, me faire frôler en ville et en banlieue, désormais, c’est deux fois par semaine. Une fois par semaine, je me fais crier dessus. Et aux deux semaines, je tombe sur un enragé…

David Desjardins, chroniqueur de L’actualité

Un enragé ?

Quelqu’un qui décide de jouer à la police, dit-il. Exemple : « J’arrive à un stop, il n’y a personne, absolument personne, je ralentis et je poursuis ma route. Un gars en pick-up s’est lancé à ma poursuite, il a essayé de me faire tomber trois, quatre fois… »

Le type, « complètement fou », haranguait David, vitre baissée :

« Respecte les règles !

— Hey, t’empiètes à moitié sur l’autre voie ! »

En l’engueulant, le chauffeur de pick-up ne voyait pas qu’il déviait de sa voie, rognant sur la voie de gauche…

Avant d’aller plus loin, un mot sur les arrêts obligatoires. La semaine passée, je vous ai dit mon déplaisir de voir des cyclistes foncer dans des intersections au mépris d’un stop, en faisant du slalom entre les piétons et les autos qui ont priorité.

Au coin de ma rue, c’est l’immense majorité des cyclistes qui foncent dans l’intersection sans même faire mine de ralentir.

Cependant…

Il y a des endroits dans le monde où le « stop Idaho » est permis pour les cyclistes : on ralentit et on continue si la voie est libre. Simple affaire de physique et de logique. Un arrêt complet nécessite une dépense d’énergie importante pour repartir, à vélo.

Si chaque cycliste arrête à chaque stop en mettant le pied par terre, aussi bien larguer le vélo et prendre le char.

Oui, j’entends ici l’automobiliste qui respecte scrupuleusement chaque article du Code de la sécurité routière hurler… 

Je lui réponds : si je ralentis à un stop et que je reçois un ticket, je vais le payer.

Mais le vélo qui s’engage dans une intersection est toujours moins dangereux que le char – ou le VUS – qui s’engage dans une intersection.

Un, la perception de mon environnement quand j’arrive à une intersection est considérablement meilleure à vélo que lorsque j’arrive à la même intersection dans mon véhicule.

Deux, le foutu pilier A qui soutient la partie gauche du pare-brise1 de mon VUS crée un angle mort hyperdangereux2 pour autrui…

Bref, aux intersections comme ailleurs, l’imprudence à pédale est toujours moins dangereuse que l’imprudence à moteur.

David savait que j’allais écrire sur les « maudits vélos »3 et il m’a contacté pour me parler de son expérience à rouler à vélo au milieu des autos. Automobiliste et cycliste, il a vu les relations changer. Souvent pour le mieux, comme à la campagne. Parfois pour le pire, comme en banlieue et en ville, ces dernières années.

Ces dernières années, David a noté des changements dans le fond de l’air. Une agressivité dans le ton de ceux qui l’apostrophent.

« Il s’est passé quoi, tu penses ?

— C’est une minorité, je tiens à le dire. Mais cette minorité est en furie. J’avais jamais vu ça avant, du monde qui te court après pour jouer à la police en te hurlant dessus… »

David Desjardins a une théorie. Et il l’a élaborée avant même la pandémie : « J’ai le sentiment que l’absence de civisme des réseaux sociaux a débordé dans le réel. Être en voiture, c’est un peu comme être derrière son écran. T’es protégé. À vélo, si tu essaies de me tasser avec ton char, je peux pas te rattraper et te rentrer dedans. Comme je peux pas te retrouver si tu m’insultes de ton clavier. Le climat social s’est dégradé partout. Tous ceux qui sont dans le service à la clientèle le disent : jamais les clients n’ont été aussi désagréables… »

Et, convient-il, rouler en char, c’est de moins en moins facile, de plus en plus irritant. Y a des travaux, y a des bouchons. Y a trop… de chars.

« Toi, le cycliste, t’es LA chose sur laquelle ils peuvent se défouler. T’es une cible parfaite, qui peut pas se défendre. »

Je suis d’accord avec la théorie de David.

En y ajoutant ceci : la route est une métaphore de la société, où tout le monde doit partager l’espace, qu’il soit réel ou métaphorique.

Partager l’espace, réel ou métaphorique, c’est toujours un peu déplaisant… au début.

Et nous sommes encore au début de l’ère où les chars, en ce pays, n’ont plus le quasi-monopole de la route.

1. Lisez l’article de Slash Gear « The Terrifying Blind Spot SUV And Pickup Drivers Need To Know About » (en anglais) 2. Lisez l’article « Les VUS et les camionnettes, une menace pour les cyclistes » 3. Lisez la chronique « Maudits vélos »