Bernard Drainville sentait le besoin de parler, même s’il ne sait pas encore exactement quoi dire.

Il faut être généreux pour qualifier de « plan » son document présenté jeudi. Il s’agit plutôt d’orientations.

Depuis sa nomination en octobre, le ministre de l’Éducation était d’une rare discrétion. Il faisait une tournée des écoles et apprivoisait ses dossiers.

Contrairement à son prédécesseur Jean-François Roberge, il part de loin. En 2018, la Coalition avenir Québec (CAQ) avait un programme ambitieux, avec l’abolition des commissions scolaires élues et l’implantation des maternelles 4 ans. Et comme ex-enseignant et critique de l’opposition en éducation, ces dossiers lui étaient déjà familiers.

M. Drainville hérite quant à lui d’une feuille à moitié blanche. Les engagements de la CAQ étaient plus modestes à la dernière campagne. Parmi eux : hausser de 2 milliards le budget de construction et de rénovation des écoles, bonifier la formation professionnelle et améliorer l’enseignement du français.

Depuis le début de janvier, mes collègues Marie-Eve Morasse et Louise Leduc ont révélé que le taux d’échec aux épreuves ministérielles avait bondi et que des élèves en difficulté passaient directement de la 5e année du primaire au secondaire. Le ministre devait montrer qu’il faisait quelque chose, d’où cette sortie.

M. Drainville a ainsi répété trois promesses connues, en plus de dévoiler quatre autres intentions : accélérer la formation d’enseignants, embaucher du personnel de soutien en classe, améliorer la collecte et le partage d’informations au Ministère et augmenter les programmes particuliers au secondaire.

Il ne sait pas encore comment y parvenir ni à quel coût ou selon quel échéancier.

Si M. Drainville avait pondu un plan complet et détaillé en 100 jours, on aurait dit qu’il improvise et qu’il ne consulte pas les groupes concernés. Et s’il avait gardé le silence, on le lui aurait aussi reproché. En donnant un avant-goût de son programme, il a le mérite de lancer le débat.

A priori, son annonce semble à la fois pressée et prudente. Il évite les questions clivantes comme le système à trois vitesses. Il ne veut pas réfléchir aux fondements du système d’éducation. Il cherche plutôt à colmater les brèches et à faire des gains rapides.

Ses orientations semblent assez consensuelles. Mais en éducation, rien n’est simple. En les examinant de près, on voit apparaître de futures tensions.

L’annonce la plus concrète de M. Drainville est le retour de la formation accélérée. Elle autoriserait par exemple un bachelier en histoire ou en littérature à suivre une formation pédagogique d’une année pour obtenir son brevet d’enseignement.

Si des experts s’en réjouissent, les doyens des facultés d’éducation seront méfiants. Ils se méfient déjà de l’idée de permettre aux étudiants de troisième année ayant échoué à leur test de français de faire leur stage en classe – ils pourraient refaire le test par la suite.

Selon M. Drainville, la pénurie le justifie. Elle est en effet alarmante. D’ici 2030, près de 40 % des enseignants prendront leur retraite. Et on estime qu’entre 15 % et 40 % des jeunes profs quittent le métier après cinq ans.

Pour s’attaquer à la crise, il n’y a pas de solution miracle. Il faut valoriser le métier d’enseignant et améliorer les conditions de travail.

M. Drainville veut leur ajouter des aides en classe, comme un éducateur de service de garde volontaire. Un projet pilote se fait en ce moment dans 100 écoles. Le renfort sera bienvenu. Mais si des millions de dollars sont réservés à cette mesure dans le prochain budget, des syndicats pourraient trouver qu’une part de la tarte leur échappe. Et cela ne contrebalancera pas le manque d’orthopédagogues et autres professionnels.

Pour le reste, c’est dans la renégociation de la convention collective que se régleront les conditions de travail. Au moins, elles sont mieux parties qu’en 2018. Cette fois, on ne leur demande pas de travailler plus d’heures – en plus de celles faites de façon bénévole à la maison… Reste que les tensions se révèlent souvent quand la négociation avance.

L’employeur veut revoir les ratios en classe, qui avaient été réduits au primaire et au début du secondaire il y a près d’une décennie. Des enseignants comme Sylvain Dancause se sont déjà montrés ouverts à une flexibilité accrue, par exemple avec des ratios à la hausse pour des classes moins lourdes à la fin du secondaire.

Il serait intéressant d’ancrer ce débat dans la recherche scientifique au lieu de s’en remettre aux tractations des négociateurs. N’empêche que plus les enseignants se sentiront déconsidérés, plus on aggravera la crise actuelle. M. Drainville, qui n’est pas responsable de la négociation, semble sceptique.

Le dossier du français sera aussi moins consensuel que prévu. Personne ne s’opposera au budget spécial pour l’achat de livres, mais des boucliers se lèveront si le ministre demande que les fautes soient corrigées au primaire dans tous les cours ou s’il propose de rétablir à 50 % la pondération de l’épreuve ministérielle de fin d’année.

Et enfin, il y a l’accès aux données. C’est hallucinant : le ministre lui-même ne sait pas combien il manque d’enseignants dans le réseau, ni même la proportion d’élèves par année qui sont en échec scolaire !

Chaque centre de services scolaire collige ses données, avec des systèmes informatiques parfois antédiluviens. Et quand le tout se rend au Ministère, on n’est pas pressé de partager les nouvelles avec la population.

M. Drainville ne veut pas être le grand réformateur. Il se tient loin du projet de lancer une commission Parent 2.0. Mais quand il détaillera son menu, on réalisera qu’il en a plein les bras. Et on comprendra pourquoi il n’a pas ouvert son jeu en janvier avant d’être capable de répondre à chaque critique.