Le futur poste de commissaire à la langue française part mal.

Québec solidaire (QS) ne veut rien savoir du candidat choisi par le gouvernement caquiste pour occuper les fonctions de commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil. Le parti de gauche s’y oppose, sans lui avoir parlé.

La raison : ses propos sur l’immigration jugés « non rassembleurs » dans Le remède imaginaire, un essai coécrit en 2011 avec le démographe Guillaume Marois.

À la décharge de QS, les partis se prononcent souvent sans avoir rencontré le candidat proposé par le gouvernement. Le Parti libéral est plus prudent. Pour l’instant, il ne se positionne pas.

Depuis quelques années, les partis réclament que davantage de postes soient soumis à un vote de l’Assemblée nationale avec un appui des deux tiers des élus. C’est désormais ainsi que le chef de la Sûreté du Québec et celui de l’UPAC sont choisis.

Habituellement, il y a consensus. Un rare cas de dissension : le Parti québécois s’opposait initialement à la nomination de Tamara Thermitus à la présidence de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Elle a finalement été choisie, et elle a démissionné après avoir essuyé un blâme de la protectrice du citoyen.

Avec le multipartisme, de telles nominations se compliquent. Mais quand le processus est bien mené, il donne un mandat fort. La personne sélectionnée détient son autorité de l’Assemblée nationale, ce qui renforce sa légitimité.

Grâce à leurs 90 sièges, les caquistes détiennent 72 % des votes. Soit assez pour obtenir à eux seuls les deux tiers requis. Une nouvelle règle devrait donc être utilisée. Par exemple, exiger que deux partis appuient le gouvernement. Cela redonnerait du pouvoir aux partis de l’opposition, sans pour autant donner un veto à l’un d’eux.

Le CV de M. Dubreuil est impressionnant. Docteur en philosophie, il a publié sa thèse chez Cambridge University Press sous le titre Human Evolution and the Origins of Hierarchies.

Il a ensuite travaillé au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, avant de devenir conseiller politique pour le ministre péquiste de l’Enseignement supérieur Pierre Duchesne.

Par après, il a travaillé dans la fonction publique québécoise. De 2013 à 2016, il évaluait les programmes de formation des cégeps.

Depuis trois ans, il fait un travail similaire pour l’Agence d’évaluation d’impact du Canada. À titre de directeur général par intérim des opérations régionales pour l’est du pays, il évalue le volet environnemental, social et économique des grands projets.

Si c’était un idéologue borné, le Canada ne lui aurait pas confié cette responsabilité.

L’évaluation des politiques publiques est son métier, et les langues, une passion. J’ai espionné son profil Facebook. Un de ses passe-temps : apprendre des langues et lire si possible des romans étrangers dans la version originale, comme l’italien, l’allemand ou le russe. Il se démarque par son ton respectueux, sa curiosité et son souci de soumettre les idées reçues à l’épreuve des faits.

En 2011, j’avais lu Remède imaginaire. La thèse du livre : l’immigration a un effet marginal sur la pénurie de main-d’œuvre et sur le vieillissement de la population. Ce n’est pas une hérésie. Des universitaires comme Pierre Fortin et Gilles Grenier ont déjà soutenu à peu près la même chose⁠1.

J’avais interviewé M. Dubreuil à l’époque. Il s’était abstenu de commenter le débat sur les seuils d’immigration. Il s’agissait selon lui d’une question politique, alors que son essai visait à analyser objectivement les impacts économiques et démographiques.

L’essai était pessimiste sur la francisation. Après sa publication, des rapports du vérificateur général en ont confirmé les échecs, et des ajustements ont été faits, comme la hausse des budgets et la centralisation des programmes.

L’essai estimait que l’effet de l’immigration sur les finances publiques était faible et probablement négatif. Il s’appuyait toutefois sur les données d’un marché du travail qui n’a plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui.

Que penserait M. Dubreuil aujourd’hui de la francisation et de l’apport économique des jeunes immigrants, qui sont plus scolarisés que la population native ? Pour le savoir, il faudrait le lui demander.

Le poste de commissaire sera crucial. C’est lui qui examinera l’efficacité de la francisation et des autres mesures de l’État. Et il pourra mener des enquêtes ou en effectuer à la demande de l’Assemblée.

Idéalement, le nouveau commissaire serait nommé à l’unanimité. Mais puisque l’opposition est devenue contournable, elle gagnerait à se montrer raisonnable. La moindre des choses serait que Québec solidaire et le Parti libéral rencontrent M. Dubreuil avant de le juger à partir d’un vieil essai. Et en se rappelant que si le nouveau commissaire prend à cœur la protection du français, ce sera une qualité, et non un défaut.

1. Lisez « Les clichés intolérants et vertueux »