Certains parlent d’une coalition dans le style de la CAQ, qui a fait éclater le clivage libéraux-péquistes. D’autres évoquent La République en marche d’Emmanuel Macron, qui a phagocyté le centre politique en France et fait exploser les partis traditionnels.

Mais toujours est-il que dans l’entourage de Jean Charest, l’hypothèse d’une sorte de coalition de centre droit est discutée ouvertement depuis plusieurs semaines.

Tasha Kheiriddin évoquait dimanche l’hypothèse d’une coalition « conservatrice-libérale », en entrevue à Radio-Canada à l’occasion de la publication de son essai sur l’avenir du Parti conservateur du Canada (The Right Path, qui sera « Le droit chemin » en français).

Kheiriddin, commentatrice politique conservatrice, travaille comme stratège dans l’équipe Charest.

Elle insiste pour dire que le plan A consiste à gagner le leadership et à unir le parti. Mais est-ce vraiment réaliste ?

D’une part, Pierre Poilievre semble mener fortement chez les membres inscrits. Le chemin de la victoire pour Charest est étroit et passe par un deuxième tour compliqué.

D’autre part, même en gagnant, Charest se retrouverait avec un parti fortement divisé et une frange très hostile envers lui. Les chances de succès d’une entreprise d’unification ne paraissent pas très élevées en ce moment.

Voici ce qu’écrit Kheiriddin, traduit par Radio-Canada : « Vu le climat acerbe qui règne dans la course à la direction du Parti conservateur, il sera très difficile pour les partisans d’un des deux camps de vivre en harmonie avec l’autre camp. Un parti centriste va aliéner les populistes. Et vice-versa. Il y a une troisième possibilité : la recréation d’un parti libéral-conservateur, comme celui qui a fondé le Canada. »

Charest ne cache pas son aversion pour Poilievre, qui veut combattre l’inflation en achetant de la cryptomonnaie, congédier le gouverneur (indépendant) de la Banque du Canada et qui a encouragé le convoi anarchoconservateur ayant bloqué Ottawa l’hiver dernier.

Poilievre le lui rend bien, lui reprochant des politiques dignes du Parti libéral DU QUÉBEC (comprendre : « de gauche ») et une éthique douteuse.

Charest se présente comme le seul capable de battre les libéraux, après trois défaites conservatrices, Poilievre étant trop extrémiste, populiste et loufoque économiquement pour conquérir les grands centres.

Si Charest gagne le 10 septembre, on peut fort bien se trouver devant un autre schisme, mené par les « poilievristes », comme celui qui avait vu surgir le Reform Party dans l’Ouest. En 1993, le parti avait remporté 52 sièges, les conservateurs (alors progressistes-conservateurs)… 2. La division de la droite et la présence du Bloc québécois ont permis aux libéraux de gouverner sans souci pendant 13 ans.

Si Poilievre l’emporte, comme cela semble probable, Charest ne va pas forcément jeter l’éponge. Un proche de sa campagne me confiait le mois dernier songer à l’hypothèse Macron. Il faudrait alors que Charest quitte un parti qui ressemblerait à une copie beige du Parti républicain américain. Ensuite, il lui faudrait tenter de rallier les modérés conservateurs et les libéraux fiscalement au centre irrités par l’union de fait de Trudeau avec le Nouveau Parti démocratique.

On mise sur le fait que l’ère des « vieux partis » est en déclin depuis 50 ans, comme l’observent les politologues. L’électeur n’a plus de fidélité historique pour un parti et la confiance envers les partis eux-mêmes est en déclin partout dans les démocraties constitutionnelles.

Est-ce qu’un vieux politicien comme Charest peut faire éclater le système en prétendant le rénover ? François Legault aussi avait un passé politique, certes moins important, quand il a quitté le Parti québécois pour s’allier avec des libéraux et des adéquistes pour former sa coalition, et sortir le débat politique du dilemme binaire souverainiste-fédéraliste. Legault avait toutefois l’avantage non négligeable de ne pas traîner toutes les casseroles libérales que Charest tente de faire oublier comme « réglées », mais qui demeurent un passif important au Québec. Quoi qu’il en soit, c’est ce chemin qu’envisage son entourage.

Bref, la campagne pour désigner le prochain chef conservateur n’est que le premier acte, pas l’épilogue. Ce qui se prépare, le plan B qui se discute, c’est une possible reconfiguration en profondeur de la carte politique partisane fédérale.