Et si les hockeyeurs avaient fait entrer un homme dans leur chambre d’hôtel pour le tabasser à tour de rôle ? Aurait-on gardé le secret comme ça ?

Au bout du fil, c’est l’avocate Sophie Gagnon, directrice générale de Juripop, qui me pose la question. Franchement, je ne crois pas. Elle non plus.

C’est peut-être ça, la culture du viol. Cette tendance à minimiser, voire à passer sous silence les agressions sexuelles, même les plus atroces. Et cette révélation sidérante, lundi, du président de Hockey Canada : chaque année, l’organisation mène deux ou trois enquêtes sur des agressions sexuelles commises dans ses rangs. Comme si c’était normal. Banal. La routine habituelle, quoi !

Les semaines passent et Hockey Canada s’embourbe dans un scandale pestilentiel. Plus les dirigeants de la puissante fédération sportive tentent de se dépêtrer, plus ils s’enfoncent.

Ils ont mis le pied dedans le 26 mai, quand le réseau TSN a rapporté les détails sordides d’une poursuite civile déposée contre leur organisation. Lentement, ils se sont enlisés. Ils étaient dans la vase jusqu’au cou, mercredi, quand Ottawa a gelé leurs fonds.

On a reproché au gouvernement d’avoir pris trop de temps à réagir. Mais ce n’est que cette semaine qu’on a pu mesurer l’ampleur des efforts déployés par Hockey Canada pour maintenir le couvercle bien serré sur la marmite. Avant la désastreuse comparution de ses dirigeants devant un comité d’élus, à Ottawa, personne ne savait trop par quel bout prendre cette affaire.

Entendons-nous : le crime allégué est gravissime. Un viol collectif. Huit joueurs qui agressent une femme à tour de rôle. Ils la séquestrent dans une chambre d’hôtel de London. Elle tente de fuir, ils la retiennent de force. Elle pleure, ils rigolent. C’est insoutenable de violence et de barbarie.

Joueurs étoiles ou pas, ces gars-là doivent répondre de leur crime.

Mais voilà, la victime refuse de porter plainte. Ni à la police ni auprès des enquêteurs mandatés par Hockey Canada pour faire la lumière sur ces allégations. « On ne peut pas forcer quelqu’un à porter plainte, rappelle Sophie Gagnon. Dans un cas de violence sexuelle, ça ne sert à rien d’aller voir la police si la victime refuse de collaborer, parce que la preuve repose presque entièrement sur son témoignage. »

Autrement dit, on ne peut pas blâmer Hockey Canada, ni même la police, si les joueurs ont pu échapper à un procès criminel. « Il y a juste la victime qui peut faire ça. »

Mais la fédération sportive aurait tout de même pu en faire plus. Elle aurait dû en faire plus. Elle a préféré acheter le silence de la victime. Et protéger ses bourreaux.

Vingt-six mois. L’enquête interne de Hockey Canada a duré 26 mois. Et combien de joueurs impliqués dans le viol collectif ont été identifiés pendant ces deux années d’enquête ? Zéro. Pas un seul.

Parlez-moi d’enquêteurs efficaces. À croire qu’ils l’ont fait exprès…

Incroyablement, les joueurs n’étaient pas tenus de collaborer à l’enquête. Alors, bien sûr, leurs agents leur ont fortement conseillé de ne pas le faire ; leur carrière était en jeu. Et voilà Hockey Canada qui feint l’impuissance : si personne n’a envie de collaborer, que voulez-vous, on ne peut rien faire…

C’est trop facile. « Il ne faudrait pas beaucoup de créativité juridique pour trouver un levier afin de contraindre les joueurs à participer à une enquête », estime Sophie Gagnon.

Même sans ce levier juridique, ajoute l’avocate, les allégations étaient si graves que Hockey Canada aurait pu les utiliser pour mettre fin au contrat des joueurs, en cas de refus de collaborer.

Bref, Hockey Canada pouvait agir, mais ne l’a pas fait. Par grossière négligence. Ou, plus probablement, pour protéger ses joueurs. Et ses propres fesses au passage.

La fédération sportive a choisi de régler à l’amiable, ce qui avait l’avantage de balayer le viol collectif sous le tapis. Allez, on oublie tout ! Les boys poursuivront leur carrière dans les ligues majeures, comme si de rien n’était. Ça serait tellement dommage de sacrifier tous ces talents…

Hockey Canada s’est empressé de payer au nom des huit joueurs impliqués – joueurs, rappelons-le, que l’organisation affirme n’avoir jamais réussi à identifier. Méchant gros chèque en blanc.

Par prudence, l’entente interdit tout de même aux parties de divulguer les noms des huit John Doe. Encore une fois, ça permet à Hockey Canada de se réfugier dans le silence : on aimerait vous en dire plus, mais on ne peut pas, c’est confidentiel. Comprenez-nous bien, c’est par respect pour la victime…

Ça aussi, c’est trop facile.

Si Hockey Canada respectait vraiment les victimes, il s’attaquerait à la triade de cultures toxiques – celle du silence, celle de l’impunité et celle du viol – qui pourrissent ses rangs. Surtout, il ne donnerait plus jamais l’impression d’accorder aux joueurs la permission de violer en toute impunité.

Là, Hockey Canada respecterait vraiment les victimes. Qui sait, peut-être même leur donnerait-il le courage de porter plainte.