Nous menions 3-1, en route vers une victoire difficile. Je dis « nous », comme tous les parents qui regardent le match des gradins, nous qui encourageons nos enfants, notre équipe.

Demi-finale, l’autre soir, à l’aréna Camillien-Houde. La première moitié du match fut à nous.

Puis Saint-Léonard a remonté le score, refusant de mourir, admirable d’acharnement. Un match robuste, mais sans écarts de conduite de part et d’autre, rien de vicieux.

En troisième, Saint-Léonard a pris les devants pour la première fois : 5-4. Il restait moins de dix minutes.

Là, j’ai pensé, ô parent de peu de foi : les carottes sont cuites.

Monsieur Tum – Momen Tum de son nom complet – avait déserté notre camp : ça se sentait dans l’aréna comme l’odeur d’une flatulence dans un petit espace mal ventilé.

Des gradins, je regardais le numéro 23, un peu mélancolique. Jeune midget, il a l’âge où ils décrochent du hockey.

Je me suis dit : ben voilà, c’est la fin, c’est la fin de ses années de hockey (peut-être), c’est son dernier match (sans doute). Qui sait si l’an prochain, il voudra encore jouer ? Les jobs à temps partiel, les amis, la blonde : ils ont l’âge où ils se développent des vies en marge de celles de leurs parents. Fatalement, souvent, le hockey prend le bord.

Je regardais nos joueurs se démener, ce noyau dur de jeunes qui se suivent depuis quelques années…

Nathan. Alex. Stefan. Andy. Gabriel. Yan. Des enfants devenus des ados sous nos yeux, nous qui regardons les matchs ; les pee-wee d’hier seront, demain, bientôt, très bientôt – trop vite –, des hommes.

Le tableau montrait 5-4. Les secondes s’envolaient. J’ai pensé : merde, il n’aura jamais vécu de finale, dans ses années de hockey…

C’est un cliché de dire que le sport fait grandir les enfants. Les clichés sont vrais, parfois. Mais la tension d’une finale a quelque chose de magique, qui grave quelque chose en soi.

En 2020, nous allions faire la finale, c’était écrit dans le ciel. Nos bantams brûlaient la ligue et l’héritier était un des principaux pyromanes.

Nous étions littéralement en route vers le premier match des séries quand la pandémie a stoppé le hockey organisé, il me semble que c’était un vendredi soir.

Plus tôt cette saison, nos jeunes ont fait une bêtise après un match particulièrement mouvementé, dans le couloir de l’aréna. Insultes aux arbitres, insultes à une employée de l’aréna.

Des ados qui se sont comportés en tatas, comme les humains peuvent l’être, tatas, surtout quand ils sont en tas.

Qui a dit quoi à qui ? Qu’importe : vite fait, bien fait, la ligue a suspendu notre équipe au complet, le temps d’enquêter et de tirer l’affaire au clair.

Les adultes de l’association ont pris l’affaire au sérieux, les parents aussi, nos jeunes se sont fait passer un savon. Les coachs ont dit leur dégoût, n’ont cherché aucune circonstance atténuante pour excuser leurs joueurs, nos jeunes.

Les joueurs, eux, ont refusé de larguer les noms de ceux qui avaient dépassé les bornes, dans ce couloir menant aux vestiaires.

À ce jour, je ne sais pas si cette solidarité en forme d’omerta était admirable ou répréhensible.

Je sais juste qu’ils sont allés présenter des excuses en équipe, piteux et contrits. Et que les excuses ont été acceptées.

J’espère qu’il y a eu une leçon pour nos jeunes là-dedans, l’une de ces improbables leçons que le sport enseigne, au-delà du sport lui-même.

Je regardais le numéro 23, mon fils, dans les dernières minutes du match.

Au fil des saisons, il a été tour à tour le plus poche de son équipe, patinant sur la bottine, et il a aussi été le meilleur de son équipe, marquant à chaque match, ou presque. Il a été capitaine. Et il a été dans la moyenne.

Qu’a-t-il appris, au hockey, toutes ces années ?

La persévérance, une certaine discipline, peut-être. Le fait que tous sont importants, dans une équipe, les doués et les moins doués (comme dans la société) ? Que s’appliquer, répéter, s’entraîner, c’est ce qui nous rend meilleurs ?

Je l’ignore. L’avenir le dira, le lui dira. On ne sait jamais, sur le coup.

Je sais juste que toutes ces années, mon enfant très sérieux dans la vie a toujours eu dans la face une immense banane quand il était sur la glace, match ou entraînement, un sourire étincelant qui transperçait la grille de son casque.

Ce sourire-là m’a toujours dit que tout cela valait la peine, en route vers un match à 20 h 45 un mardi de janvier, à Pointe-aux-Trembles.

Des gradins, je regardais nos coachs. Yan, Nicolas, Jean-Claude. Je pensais au don de soi que ça prend pour entraîner bénévolement une équipe. Aux heures sacrifiées à tout le reste, famille et travail, au jus de cerveau et de coude, aux entraînements le vendredi soir, quand la moitié de l’équipe ne se présente pas…

Je regardais les bénévoles de l’association, avec leur manteau de l’association, leur seule paie. Il y a tout un écosystème de bénévoles qui permet à nos jeunes, quel que soit le sport, de s’épanouir. Ils méritent des monuments, ces gens-là. Ils font rouler une machine qui initie des humains à la vie, ce n’est pas rien.

Nous avons nivelé le score, juste avant la fin du match : 5-5.

L’espoir est revenu dans les gradins ; nous, les parents, étions fébriles – non, plus que fébriles, au boutte des nerfs –, accrochés les uns aux autres. Ça sentait la prolongation…

Puis nous avons reçu une punition. Désavantage numérique jusqu’à la fin du match.

Gulp, cardiaques, fermez vos yeux…

Nous avons tenu le coup grâce à un but de Gabriel, le numéro 17 : 5-5.

Le supplice par mort subite qu’est la prolongation – à quatre contre quatre – nous attendait.

Les gardiens des deux bords ont fait des arrêts miraculeux, je crois qu’une rondelle a frappé le poteau adverse, et là, Monsieur Tum ne savait plus où donner de la tête : les deux équipes se donnaient corps et âme dans un effort franchement magnifique, ça pouvait aller d’un côté ou de l’autre…

Il restait, quoi, trois minutes, quand mon 23 a intercepté un tir dans notre zone. Il a levé les yeux, il a repéré Gabriel le 17 qui détalait vers la zone adverse…

Dégagement du 23 du revers en forme de lob…

Rondelle sautillante dans les patins d’un défenseur, qui ne peut la maîtriser…

Et qui tombe drette sur la palette du 17 en train de détaler et qui déjoue le dernier défenseur…

Échappée.

Nous avons tous retenu notre souffle.

Notre 17 a fait trois, quatre enjambées en traversant la ligne bleue, il a bien pris son temps pour trouver l’interstice et, boum, il a visé l’ouverture au-dessus du biscuit du gardien adverse.

But.

6-5.

Miracle d’avant-Pâques.

Nos fils se sont tous jetés sur leur gardien, dans un abandon aussi émouvant pour eux que pour nous.

Cette saison, c’est la fin du hockey (peut-être).

Mais nos jeunes vivront tous une finale. Qui sait ce qu’ils y apprendront sur eux, sur la vie.

On ne le sait jamais, sur le coup.