Après avoir fait fortune dans l’enfouissement des déchets, Lucien Rémillard est devenu un immigrant à la Barbade.

C’était en 2013, donc bien avant que ce pays des Caraïbes ne largue la Reine comme chef d’État. Ce n’est donc pas pour protester contre la monarchie britannique que M. Rémillard a émigré du Canada.

Le climat, sans doute. La fiscalité, peut-être ?

La Barbade, pour les super-riches, est en effet un paradis. Les sociétés y sont imposées sur leurs profits de 2,5 % à 5,5 %. Et en vertu de nos ententes internationales, on peut ensuite rapatrier l’argent de ces sociétés au Canada.

Le hic, c’est qu’on n’arrive pas à déterminer où habite vraiment M. Rémillard. Le fisc canadien a trouvé comme adresses celle de son conseiller financier et l’adresse d’une maison louée de temps en temps.

Le Canada a beau être notoirement insignifiant, fiscalement parlant, un fin limier de l’Agence du revenu a ouvert une enquête.

Se pourrait-il que M. Rémillard ne soit pas vraiment barbadien ? Six ans plus tard, on n’a toujours pas de réponse. Ce qui, en soi, montre la facilité avec laquelle les super-riches peuvent combattre les autorités fiscales dans notre pays.

En 2013, M. Rémillard a vendu la firme RCI à la société américaine Waste Management pour une somme évaluée à 300 millions. Une partie de cet argent a abouti dans une fiducie qui a redistribué l’argent à M. Rémillard et à sa famille.

Le fisc a contesté le stratagème et entrepris des recours contre les Rémillard. Quand Le Journal de Montréal s’est mis le nez dans le dossier, Lucien Rémillard a tenté d’obtenir une ordonnance de non-publication devant la Cour fédérale – obtenue en partie seulement. La Cour fédérale d’appel vient de confirmer cette décision.

Mais en même temps, Lucien Rémillard veut empêcher les enquêteurs de l’Agence du revenu du Canada (ARC) de faire des demandes d’information aux États-Unis, en Suisse et à la Barbade pour trancher cette très simple question : où habite donc Lucien Rémillard ?

C’est que, voyez-vous, M. Rémillard se décrit comme un « résident non domicilié » de la Barbade.

Qu’est-ce donc qu’un résident non domicilié ?

J’essaie de comprendre ce que ça peut vouloir dire pour le commun des mortels, résider sans être domicilié. C’est vertigineux.

– Habitez-vous chez vos parents ?

– Fiscalement oui, mais physiquement, très peu.

Clairement, M. Rémillard n’habite pas à la Barbade, puisque ses seuls points de chute sont une résidence louée à court terme et l’adresse de son conseiller. Apparemment, il partage sa vie entre la Floride, le Québec et la Barbade, à raison d’un tiers pour chaque endroit.

Comment déterminer alors le lieu de résidence ? C’est une question à plusieurs millions de dollars, puisqu’un résident canadien sera imposé sur ses revenus mondiaux. Le non-résident ne payera de l’impôt au Canada que sur ses revenus provenant du Canada.

Avec un habile montage fiscal et des délocalisations, les revenus des fiducies deviennent mondiaux, et ne seraient légalement imposables qu’au lieu de « résidence » fiscale, c’est-à-dire dans ce cas-ci la Barbade.

Ce qui est intéressant ici, c’est de voir les moyens déployés par M. Rémillard pour empêcher qu’on identifie cette résidence. Comprenez que l’ARC n’a même pas encore envoyé d’avis de cotisation au rentier barbadien. On en est depuis six ans au stade de l’enquête sur la résidence.

C’est M. Rémillard lui-même qui poursuit Revenu Canada. Pourquoi ? Pour l’empêcher d’obtenir des informations aux États-Unis, en Suisse et à la Barbade. Informations nécessaires pour déterminer quel est son vrai lieu de résidence : ses activités économiques, ses séjours, etc. On soupçonne à l’ARC qu’en réalité, il réside au Canada ou aux États-Unis, soit dans les maisons de ses fils, soit dans un immeuble détenu par une fiducie ou une société sous son contrôle. Or, pour déterminer le vrai lieu de résidence d’une personne, il faut voir où sont ses habitudes, ses liens sociaux, ses activités personnelles, etc.

Et apparemment, ça ne se passe pas tellement à la Barbade…

Cette histoire montre encore ce qui ne va pas dans la lutte contre l’évasion ou l’évitement fiscal, et la difficulté de déterminer juridiquement la différence entre les deux, ou de lutter contre les deux.

Des super-riches aidés par des experts (ici : KPMG, le bureau d’avocats Davies) pour monter des systèmes compliqués et opaques et entreprendre des batailles juridiques agressives à grands frais.

Ils viennent à nouveau de se planter royalement en cour, me direz-vous. C’est vrai. La juge Jocelyne Gagné a dégonflé un à un tous leurs arguments comme autant de baudruches. Mais pendant ce temps, l’enquête piétine. En verra-t-on la fin du vivant de M. Rémillard ? Il est beaucoup trop facile de profiter des paradis fiscaux, et trop difficile de contre-attaquer.

Entre-temps, chers contribuables, consolez-vous. Cette nouvelle cuisante défaite en cour de l’immigrant barbadien et de son avocat Guy Du Pont s’est conclue par une condamnation à payer des frais juridiques de… 38 592,24 $ à l’État canadien.

Il sera intéressant de voir si le chèque est tiré d’une banque suisse, de la Barbade, des États-Unis ou d’une caisse populaire.