À la veille du congé pascal, chacun doit gérer son risque, nous dit la Santé publique.

Je gère, je gère…

Où étiez-vous passée ? m’ont demandé des lecteurs inquiets qui ont remarqué que ça faisait un petit moment que j’étais absente. J’étais justement en train d’essayer de gérer. Gérer ma vie de proche aidante au temps de la COVID.

J’ai pris congé pour accompagner ma mère, qui, du jour au lendemain, à cause d’une tumeur au cerveau, est passée de grand-mère hyperactive qui nage trois fois par semaine à cette catégorie de gens qu’on appelle « les plus vulnérables ». Ceux qui se battent contre la maladie, pour leur vie, dans l’isolement inhumain qu’impose la pandémie.

Une opération, cinq hospitalisations, sept cycles de chimio et je ne sais plus combien de vagues de COVID plus tard, je gère, je gère, un masque KN95 vissé au visage.

Infiniment reconnaissante devant les soignants épuisés qui ont à gérer jour après jour depuis deux ans l’ingérable souffrance dont ils sont témoins. Les vagues qui se succèdent, les urgences qui débordent, le délestage, les gens qui meurent parce que, que voulez-vous, il faut bien « vivre avec le virus ».

Alors, gérez votre risque, nous dit-on. Prenez chacun vos responsabilités. Faites de petits gestes pour vous protéger. Ne prenez pas de risques inutiles. Comment distinguer les risques utiles des risques inutiles ? Arrangez-vous…

Après deux ans d’une pandémie qui a fauché la vie de plus de 14 000 Québécois, il est stupéfiant de constater à quel point on a évacué la notion de responsabilité collective dans la gestion de la pandémie.

Vous êtes immunodéprimé ? Gérez votre risque ! Arrangez-vous pour ne pas attraper le foutu virus.

Vous êtes proche aidant d’une personne vulnérable ? Débrouillez-vous pour aider sans nuire.

C’est plus facile à dire qu’à faire, même quand on est adéquatement vacciné et ultra-prudent. Avec les éclosions dans les écoles, la COVID s’est invitée à la maison deux fois en moins de quatre mois. C’est un vrai casse-tête.

La première fois, en décembre, la quête d’une boîte de tests rapides à la pharmacie du coin avait des airs de Cocothon à Laval. J’ai vite abandonné pour aller faire la queue pour un test PCR et pouvoir gérer mon risque. La deuxième fois, il n’y a pas eu de chasse aux œufs virant à l’émeute, ce qui aurait pu ressembler à une amélioration. Mais non… Comme les tests PCR ne sont plus accessibles à la population, un proche aidant qui voudrait être certain d’aider sans nuire est laissé à lui-même.

Si mon fils a la COVID, même si mon test rapide est négatif plusieurs jours de suite et que je n’ai aucun symptôme, ça reste risqué d’aller voir ma mère immunodéprimée. Ça pourrait être un faux négatif. Je pourrais être asymptomatique. Je dois donc gérer mon risque et mes symptômes d’écœurantite aiguë.

Apprendre à vivre avec le virus, on veut bien. Mais encore faudrait-il s’en donner les moyens collectivement. Envoyer des directives claires à la population pour protéger les plus vulnérables et soutenir les travailleurs de la santé à bout de souffle. Rappeler que la pandémie n’est malheureusement pas finie et que ça demeure inquiétant. Encourager les gens à aller chercher leur dose de rappel. Ne pas banaliser la COVID en la comparant à un rhume. Aucun rhume n’a jamais conduit le système de santé dans une situation aussi critique. Aucun rhume n’a entraîné 14 618 morts en deux ans1. Aucun rhume n’a entraîné autant de dommages collatéraux, que l’on parle de toutes ces femmes de 30 à 60 ans dont la vie a été bouleversée par la COVID longue2, des patients victimes de délestage3, de leurs proches impuissants qui n’ont pas pu être à leur chevet, des jeunes en dépression4 ou des soignants en épuisement professionnel5

Apprendre à vivre avec le virus exige de sortir du déni. D’être cohérent. D’expliquer que la COVID se transmet par aérosols. De veiller à la bonne ventilation des écoles et de l’ensemble des lieux publics pour y limiter la transmission. De ne pas laisser tomber les masques trop vite et même de rappeler que l’on a tout intérêt à porter des masques de type KN95 pour diminuer la transmission. Tant de mesures essentielles qui pour l’heure, hélas, dans les directives officielles, ont pris moins de place que la malencontreuse publication par erreur, jeudi, par le ministère de la Santé d’un lien vers un site pornographique dans son bilan du jour6.

Sur ce, je m’en vais préparer Pâques en Zoom.

1. Consultez L'évolution de la COVID-19 en graphiques 2. Lisez « Attendre, la peur au ventre » 3. Lisez « La COVID sans fin » 4. Lisez « Comment les Québécois ont changé durant la pandémie » 5. Lisez « L’épuisement a frappé la moitié des travailleurs de la santé » 6. Lisez « Le ministère de la Santé supprime un lien vers un site pornographique »