Depuis une semaine, ma boîte de courriels déborde. Autant de messages de locataires que de propriétaires. Je m’attendais à ce que ma chronique « Colère de locataire » suscite des réactions, mais pas à ce point.

Toutes sortes de gens sont coincés dans la crise immobilière en ce moment. Des jeunes acheteurs désespérés aux gens à la retraite qui renoncent à vendre parce que le marché est trop fou en passant par des couples en rupture qui n’ont pas les moyens de se séparer à cause du prix des maisons et des loyers. Et quantité de locataires anxieux, qui sentent l’étau se resserrer autour d’eux.

Derrière les portes du Québec, il y a beaucoup d’angoisse, de Montréal à Gaspé.

Lisez la chronique « Colère de locataire »

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Il y a de bonnes personnes qui m’ont proposé des logements à prix raisonnable, si je devais perdre le mien, ce que j’ai trouvé touchant. Et il y a toujours quelques esprits laids qui écrivent des trucs méchants. Genre que mon chum artiste devrait se trouver un vrai job. Mais je n’ai jamais choisi un homme pour son portefeuille, c’est peut-être pour ça qu’on est ensemble depuis 23 ans. Et puis mon chum a quand même une dot dont il héritera un jour. Ses parents hippies ont acheté une maison sur le Plateau dans les années 1970. C’était une maison de trois étages avec rats et coquerelles proche du square Saint-Louis, qu’ils ont payée 15 000 $ avec 3000 $ de mise de fonds. En cinq ans, l’hypothèque était réglée. Elle vaut probablement 1 million de dollars aujourd’hui, même si elle me fait penser parfois à la maison Usher. Ce qui n’empêche pas les courtiers d’achaler régulièrement mon beau-père pour savoir s’il veut vendre.

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Bien sûr, il y a ces gens qui évoquent la fable La cigale et la fourmi de La Fontaine, d’ailleurs le premier texte que j’ai appris par cœur à l’école. Je comprenais la fourmi, mais je la trouvais un peu cheap avec la cigale qui avait chanté gentiment tout l’été. Il y a quelques fourmis en ce moment qui, devant la crise du logement, se sentent supérieures d’avoir acheté au bon moment, sans aucune compassion pour ceux qui essaient d’acheter maintenant.

Combien de temps faudrait-il à un jeune couple qui fait moins de 100 000 $ par année pour amasser la mise de fonds nécessaire à l’achat d’une maison de 600 000 $, si son loyer est rendu à 2000 $ par mois ?

Lisez l’article « Combien faut-il gagner pour acheter une maison ? »

La fracture qui se développe comme un cratère au Québec n’est pas qu’entre deux classes de citoyens – les locataires et les propriétaires, les riches et les pauvres –, elle est de nature générationnelle aussi. Beaucoup de grands-parents et de parents m’ont écrit leurs inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants et petits-enfants. Comment pourront-ils accéder à la propriété ?

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Mais depuis quand faut-il être absolument propriétaire ? Je suis de la génération X, celle qui a touché un peu tard à un revenu stable, et mes parents n’ont jamais été très riches. La majorité de mes amis de mon âge (qui ont parfois été mes colocataires) sont à loyer. Pendant que je m’endettais pour mes études, je voyais des étudiants qui avaient déjà un condo payé par leurs parents. C’est le bouton qu’il faut pour appuyer sur l’ascenseur social tôt dans la vie et nombreux sont ceux qui ne l’ont jamais eu. Je ne ressentais aucune injustice, parce que j’ai toujours cru qu’il était possible de se loger à Montréal, comme bien du monde.

Pour une Nation qui a longtemps eu l’habitude de déménager le 1er juillet, ce qui se passe en ce moment est peut-être un traumatisme.

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Mes parents ont caressé le rêve d’être propriétaires au début des années 1980, quand les taux d’intérêt ont grimpé à un niveau qui aujourd’hui créerait un cataclysme pour tellement de gens. Le banquier ne leur a pas conseillé d’acheter, à moins de s’étrangler financièrement pour longtemps. Nous avons donc été des locataires heureux, et nous n’avons manqué de rien, j’ai pu aller à l’université (l’autre bouton de l’ascenseur social), mais mon père est mort en se sentant coupable de ne pas avoir acheté une maison qu’il aurait pu nous léguer, à moi et à mon frère, alors que je sais qu’il nous a donné toute sa vie. Fuck la maison, je préfère avoir été aimée.

Plusieurs personnes m’ont écrit avec ce sentiment de culpabilité de ne pas avoir acheté quand c’était encore possible, sentiment qui s’accompagne d’une panique devant la flambée des prix. Une lectrice m’a confié avoir acheté rapidement, après le choc d’une rénoviction, et être prise à la gorge dans un condo qu’elle n’aime pas, mais qu’elle ne peut quitter en raison de son salaire et de la surenchère actuelle.

Ce n’est pas le Québec dans lequel je suis née, tout ça.

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Quelques rares proprios en colère m’ont écrit pour me dire que ce n’était pas un crime d’être propriétaire. Bien sûr que non. Je rendais hommage à mes vieux proprios dans ma chronique, il me semble que c’était clair.

Le projet d’acheter une maison est probablement l’un des plus importants dans une vie, c’est toujours émouvant de voir une petite famille faire le saut, avec des enfants en bas âge. Que d’épreuves les attendent, et elles croisent toutes les doigts pour avoir de bons locataires. Notre premier appart, à moi et à mon chum, était un cinq et demie à 400 $ par mois, dans un immeuble un peu abîmé dont venait d’hériter un jeune couple qui ne gagnait pas une fortune. Je n’ai jamais payé mon loyer en retard, même quand j’étais dans la dèche. En tout cas, ce n’est pas à eux que je pensais quand j’ai écrit ma chronique. Je pensais plutôt à ceux qui n’auront jamais le bouton de l’ascenseur social. Et à ceux qui achètent « des portes ».

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J’ai découvert cette expression en lisant sur la crise immobilière : « acheter des portes ». S’il y a des gens qui veulent surtout un toit pour la vie, un bien immobilier à léguer à leurs enfants, une sécurité pour leurs vieux jours, il y en a d’autres qui mesurent leur valeur au nombre de portes qu’ils possèdent et revendent le double après des rénovations.

Des portes derrière lesquelles il y a des chèques. Alors qu’il y a des vies.

L’amie de ma mère dont je vous ai parlé, celle qui vient de prendre sa retraite et habite son logement depuis 37 ans dans un immeuble qui sera entièrement rénové, est en train de devenir la seule porte habitée du bâtiment. Parce que tout autour d’elle, surtout les plus jeunes, on accepte des compensations financières allant jusqu’à 25 000 $ pour s’en aller.

Vous dire le nombre de personnes âgées qui m’ont écrit leur sentiment d’être en exil quand ils ont dû vendre ou déménager hors du quartier qu’elles aimaient. Et qu’elles ont souvent bâti. Les familles de la classe moyenne aujourd’hui ne peuvent leur succéder, elles ne peuvent faire autrement que de participer à l’étalement urbain parce qu’elles ne peuvent plus acheter à Montréal. Les baby-boomers qui sont propriétaires disparaissent tranquillement et, avec eux, les loyers abordables que les nouveaux acheteurs ne peuvent maintenir, j’imagine, tellement les multiplex ont pris de la valeur. Est-ce que l’hécatombe de la COVID-19 a accéléré la crise ?

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Après deux ans de pandémie, je me pose cette question : est-ce cela que nous voulons comme société ? Des professeurs, des infirmières, des préposées, des techniciennes en garderie, des commis d’épicerie, des livreurs, des serveurs de restaurant – tous des emplois essentiels au bon fonctionnement d’une ville – qui devront vivre à des kilomètres de leurs lieux de travail ? Avec l’inflation et le prix de l’essence, en plus ?

Il y a aussi des gens qui se demandent où on va loger les immigrants. Ce n’est pas une mauvaise question, s’il manque de toits en même temps qu’il manque de main-d’œuvre, d’autant plus qu’il s’agit de personnes qui sont frappées en plus par le racisme quand vient le temps de chercher un appartement.

Vraiment, je me demande si on se dirige vers une tempête parfaite sur tous les plans.

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J’ai acheté avec ma belle-mère une petite maison de campagne en 2015 à bon prix, laquelle appartenait à son chum jusqu’à sa mort. Le marché était alors au point mort dans le coin, il a fallu des années à notre voisin pour vendre sa maison à moins de 200 000 $. Après la mort soudaine de ma belle-mère, j’ai bien sûr pensé revendre cette maison qui a pris de la valeur, mais ce serait pour acheter un petit condo très ordinaire à Montréal au triple du prix. Il me semble que c’est un drôle de choix d’avenir à mon âge, alors que cette maison sera payée dans 10 ans. Je pourrais y prendre ma retraite peut-être plus tôt, en pleine nature, avec un loyer ridicule.

Mais ce qui penche encore plus dans mon calcul, c’est l’incertitude face à l’avenir : que sera Montréal dans 10 ans, si la crise du logement tue son âme ? Que sera le monde avec le réchauffement climatique et d’autres possibles pandémies ?

Ça me donne envie de me pousser dans le bois, et d’aller cultiver mon jardin, parce qu’on ne voyagera même plus pour sauver la planète si on suit les recommandations du GIEC.

Cette porte de sortie sera peut-être ma dernière porte.

Place aux lecteurs

Vos témoignages

J’ai grandi sur le Plateau. Le triplex paternel a été vendu à l’automne 2020. Les proprios ont chassé les locataires de longue date, “avec compensations”, ont-ils dit. Les compensations, à mon avis, ne sont jamais à la hauteur du désarroi. Les loyers sont passés de 900 $ chauffés à 1700 $ et 2400 $ non chauffés. Le triplex a été revendu six mois plus tard au double du prix payé !

Linda

Je suis un professionnel des services sociaux au top de l’échelle avec deux enfants en garde partagée. Mon loyer est de 940 $ pour un cinq et demie sur la Rive-Nord. Si je déménageais dans un condo dans ce même secteur, je paierais entre 1600 $ et 2000 $. Malgré mon revenu appréciable, il me resterait peu pour le reste de mes dépenses qui augmentent également. Je me demande comment font les gens pour suivre la folie des années 2020.

Marc

Si c’était plus plaisant de construire et d’administrer des logements, si les villes et les gouvernements ne rendaient pas cela comme un chemin de croix, si les mauvais locataires n’étaient pas aussi protégés, si les villes arrêtaient de transférer tous les coûts aux promoteurs, au bout du compte, il y aurait plus de logements disponibles.

Jean-François

Je vis dans un immeuble de 32 logements, propriété d’une société de gestion bien à ses affaires. Malheureusement, eux aussi cherchent à vendre. Je commence à être en colère, moi aussi… Chaque fois que je trouve quelque chose de bien, il y a toujours le spectre d’une vente qui plane.

Simon

À New York ou à Toronto, ça coûte une fortune pour se loger, mais quand on s’y fait offrir un emploi, c’est avec de bien meilleures conditions. C’est un mystère total pour moi depuis 20 ans : comment mes collègues de ministères à Montréal, qui font nos échelles salariales de misère, font-ils pour se loger ? Ils ne sortent pas de la ville, ils mangent des lentilles, conduisent des vieilles Matrix ?

Philippe

J’habite le Plateau depuis très longtemps. Entre Mont-Royal et Gilford, pas moins de six plex ont changé de mains, ce qui a forcé des locataires de longue date, souvent âgés, à partir. Les cottages se vendent à plus de 1 million et certains condos, plus de 800 000 $. Compte tenu de ce marché de sauvages, notre maison vaudrait probablement 1,5 million ! Nous ne voulons pas vendre, mais nous vieillissons, nous aussi. Il faut rester ici le plus longtemps possible, c’est tout ce que je vois pour l’instant.

Linda

Dernièrement, on lisait dans les journaux qu’en étant célibataire, si on souhaite devenir propriétaire d’une maison au prix médian à Montréal, il faut avoir un salaire de 250 000 $ et plus. C’est malheureux, mais ma fille ne désire pas être médecin… Qu’on veuille être en couple devrait être un choix et non pas pour pouvoir payer les factures.

Mychèle

Nous sommes propriétaires d’une petite maison sur la Rive-Sud. Nous avons souvent des offres d’agences immobilières nous faisant miroiter la somme que nous pourrions avoir pour notre maison, et nous en sommes scandalisés en pensant à nos enfants et petits-enfants. Comment réussiront-ils à acheter une maison avec les surenchères et l’augmentation de la valeur des propriétés ? On a déjà dit qu’il fait bon vivre au Québec. C’est de moins en moins vrai.

Amélie

Il y a la colère des locataires, et celle de tous les « petits propriétaires », qui peuvent facilement s’associer aux difficultés que vous vivez tous, conscients de l’écroulement des univers de vie qui sont en cause. J’en suis. J’avais ce rêve fou d’avoir une maison, avec ma petite mise de fonds en poche, et je pleurais le jour même où je l’ai trouvée, certaine qu’on n’y arriverait pas ! C’était l’époque des possibles.

Marie

Les réponses ont été modifiées à des fins de clarté et de concision.