Je vais vous raconter une histoire. Aussi bien vous prévenir, c’est une histoire qui implique un geste illégal. Vous jugerez si le geste était justifié.

C’est l’histoire d’un couple qui a un duplex.

La locataire du haut est une femme qui ne l’a pas eue facile dans la vie. C’est l’homme du couple qui a accepté de louer le logement à la femme…

Le proprio n’a pas fait les vérifications d’usage, je le souligne. Pas de vérification de dossier de crédit, de références, de décisions de la Régie du logement.

Il y est allé sur un coup de cœur, motivé par une sincère envie d’aider une femme qui avouait avoir eu des difficultés dans la vie, maudite boisson, maudite drogue…

Il lui a donc loué l’appart.

Et au début, tout s’est très bien passé. Le proprio n’a pas regretté d’avoir choisi d’aider cette femme, de lui avoir loué l’appartement.

Si le proprio avait fait des vérifications à la Régie du logement, il aurait constaté que la femme était une abonnée des condamnations pour non-paiement de loyer.

Il aurait découvert, aussi, que la femme connaissait tous les trucs de la Régie du logement pour faire perdurer les procédures d’expulsion, en omettant par exemple de se présenter aux audiences de la Régie…

Il aurait découvert qu’un juge a déjà écrit que la femme était « encore » absente lors d’une audience, n’avait pas de défense à offrir en recourant à la Régie et que tous les gestes de la défenderesse se résumaient en fait à une stratégie « dilatoire », à mille lieues de la bonne foi.

Dilaquoi ? Dilatoire, un adjectif qui est défini par le Larousse comme suit : « Qui vise à gagner du temps, à retarder quelque chose par son caractère vague ou ambigu. »

Bref, cette femme avait fait à répétition depuis des années ce qu’une poignée de locataires font, au Québec : ne pas payer son loyer et s’enraciner le plus longtemps possible en multipliant les mesures dilatoires à la Régie.

Tu finis par te faire expulser, mais ça prend des mois.

Des mois pendant lesquels tu habites gratis chez le propriétaire, qui a peu de chances de recouvrer son dû.

En novembre dernier, Le Journal de Québec s’est penché sur ce phénomène. Le Tribunal administratif du logement – l’ancienne Régie du logement – rejette la faute sur les propriétaires : faites vos recherches avant de louer, leur dit-on.

Lisez l’article du Journal de Québec

Je reviens au couple de propriétaires dont je vous parle. L’homme n’avait donc pas fait ses recherches. S’il avait fait une enquête de crédit, s’il avait plongé dans les archives de la Régie du logement, peut-être aurait-il passé son tour… Ou pas.

Mais bon, au début, je le répète, ça s’est bien passé. Loyer payé, pas de problèmes de comportement.

Puis, la locataire a commencé à ne pas payer son loyer, selon le même pattern que celui constaté par des juges de la Régie, dans le passé…

Avec, en prime, des incivilités à répétition, des beuveries bruyantes, des gens qui débarquent et repartent à toute heure du jour et de la nuit. La police qui arrive, des fois. Maudit alcool, maudite drogue…

Je rappelle que tout cela se passait au-dessus de la tête du couple… et de leurs enfants. Bref, c’est comme si ça se passait chez eux, tout ce bordel.

Et quand ils tentaient de parlementer avec la dame, eh bien, ils se faisaient désormais envoyer ch***, me raconte la proprio. Pas moyen de discuter avec elle.

Je regarde les antécédents judiciaires de la dame en question, et il ne faut pas un grand effort d’imagination pour comprendre que c’est une personne qui a de graves problèmes de comportement et de consommation.

Quant aux propriétaires, ils étaient en train de devenir fous. Sommeil bousillé, quiétude pulvérisée, idées noires : l’enfer. La femme résume : « J’ai appelé mon psychiatre, il a augmenté ma dose d’antidépresseurs. »

Le couple est passé par le Tribunal administratif du logement (la Régie n’existe plus depuis août 2020) pour faire expulser sa locataire. Elle a contesté et…

Elle ne s’est pas présentée à l’audience.

Actes dilatoires, encore.

Ça a duré des mois comme ça. Impossible de la mettre à la porte. Elle est chez elle, légalement. Pas de sortie de crise en vue à cet enfer tapageur.

Oui, les proprios allaient finir par la faire expulser, mais…

Quand ?

La propriétaire, entre-temps, est devenue une spécialiste des lois encadrant les relations locateur-locataire. Elle a plongé dans les décisions du Tribunal administratif du logement, dans le fin détail des lois et des procédures et…

Et elle a trouvé ce qui ressemblait à une porte de sortie.

Expulser un locataire pour non-paiement ou mauvais comportement est un chemin de croix. Ça prend des mois. Ça force le proprio à engager des dépenses de toutes sortes, comme un huissier. Ce qu’ils avaient fait.

Mais si un locataire signe un formulaire signifiant qu’il décide de ne pas renouveler son bail, mais qu’il reste dans le logement après la date où il a promis de partir…

Là, ça va vite. Ça va très vite. La procédure est expresse. Le locataire est réputé être un occupant sans droit. Et ça se règle en moins d’un mois.

Eh bien…

C’est ici qu’intervient l’acte illégal que j’évoquais au début de cette chronique : la locataire n’a jamais signé l’avis de non-renouvellement de bail.

C’est sa propriétaire qui l’a fait pour elle, en imitant la signature de sa locataire sur le formulaire de non-renouvellement de bail.

Je cite la proprio : « La dernière fois que j’avais imité une signature, c’était celle de ma mère sur un mauvais examen à l’école secondaire, genre. Autant dire que je suis loin de la faussaire professionnelle… »

La manœuvre a fonctionné. La locataire a bien tenté de contester, sans succès… Il faut dire qu’une fois de plus, elle ne s’est pas présentée à l’audience du Tribunal administratif du logement, qu’elle avait elle-même réclamée pour éviter son expulsion.

Et la locataire de l’enfer a été expulsée en quelques semaines.

Elle a laissé tous ses effets personnels derrière elle, sans les réclamer. Réparer l’appartement qu’elle avait laissé dans un état pitoyable a coûté 16 000 $ en matériel (le chum, habile avec un marteau, a fait lui-même les travaux).

La proprio m’a joint pour me raconter son histoire, après avoir entendu un segment sur la relation propriétaire-locataire, à mon émission de radio.

En vous écoutant, je ressens le besoin de confesser un crime. J’ai été baptisée catholique, mais je ne pratique plus. Permettez-moi de me confesser à vous plutôt qu’à un prêtre…

La propriétaire du duplex

Et elle m’a raconté l’histoire que je viens de vous raconter.

Comme un prêtre, je ne pose aucun jugement. Cette chronique, ce n’est pas tellement une chronique sur les mauvais propriétaires ou les mauvais locataires. Je la vois davantage comme une chronique sur la fin qui, pour certaines personnes, justifie les moyens.

Quitte à enfreindre la loi.

L’illégalité, en réponse à l’immoralité. Je sais, c’est un terrain miné, plein de brume.

D’où ma question, en ce dimanche matin, cher lecteur : cette proprio devrait-elle aller en enfer ?