« Vous savez, l’amour, c’est très proche de la haine. »

La réflexion d’Horacio Arruda avait jeté un léger froid dans la conversation. C’était en mai 2020, après deux petits mois de pandémie. Le directeur national de santé publique était alors au faîte de sa popularité. J’avais voulu lui parler de son nouveau statut d’icône au Québec.

J’avais voulu lui parler des t-shirts à son effigie, des figurines, de la page Facebook « Horacio, notre héros ». J’avais voulu savoir comment on se sent, quand on est propulsé au rang de superhéros par une population en mal de voix rassurantes.

Horacio Arruda m’avait confié que ça le flattait… mais que ça lui faisait surtout très peur.

« Cette popularité est montée très vite, comme lorsqu’on réchauffe une soupe au micro-ondes, m’avait-il expliqué. Elle peut refroidir très vite. Ça monte et ça peut redescendre. Plus on monte haut, plus ça fait mal quand on arrive en bas. »

Horacio Arruda avait le vertige, du haut du piédestal que les Québécois lui avaient érigé.

Il savait que le vent risquait de tourner.

Et, sur cette prédiction-là, il ne s’était pas trompé.

Le DArruda avait prédit autre chose, au début de la pandémie : « Ce que je dis aujourd’hui peut changer demain. » Au fil des mois, il l’a répété à maintes reprises. Et c’était strictement vrai. La lutte contre le coronavirus n’est pas une science exacte.

Son équipe a dû analyser des milliers d’études qui disaient une chose et son contraire. Elle a dû se battre à l’aveugle contre un virus inconnu, puis contre ses variants.

Dans sa lettre de démission, le DArruda le répète une fois de plus : « Il importe de considérer chacune de ces recommandations dans le contexte des connaissances du moment de l’époque. »

Le problème, c’est qu’après deux ans de chaos, les Québécois ont une soif terrible de cohérence.

Alors, les critiques du DArruda croient déceler non pas l’évolution de la science, mais de la pure incompétence dans ses déclarations contradictoires. Elles ressortent invariablement le fameux point de presse du 18 mars 2020, quand le DArruda s’était tripoté le visage pour montrer qu’on risquait de s’autocontaminer en portant un masque.

Elles ressortent cette vidéo et disent, a posteriori, non mais quel incompétent, tout de même !

Elles oublient que, 10 jours plus tôt, aux États-Unis, le DAnthony Fauci avait lui aussi déclaré qu’il n’y avait « aucune raison de se promener avec un masque » et qu’on risquait de se contaminer en se touchant le visage…

De plus en plus de chroniqueurs réclamaient sa tête. La pression s’accentuait de jour en jour. Pour le DArruda, et pour le gouvernement, c’était devenu intenable.

D’aucuns proposent de le remplacer par Joanne Liu, ancienne présidente de Médecins sans frontières. Bien que je ne doute absolument pas des compétences de la Dre Liu, ça ressemble à de la pensée magique.

La crise n’est pas due à un seul homme. On est tous dans le même bourbier, partout dans le monde. On se débat tous contre la vague Omicron. Et plus on se débat, plus on s’enfonce. C’est désespérant.

Horacio Arruda est un bouc émissaire. Il a servi d’exutoire pour nos frustrations, pour notre écœurement collectif.

Cela dit, après 22 mois de pandémie, l’apport de sang neuf pourrait faire du bien. Comme lorsque François Legault a remplacé Danielle McCann par Christian Dubé à la Santé. Il est temps d’échanger un autre membre du trio.

Horacio Arruda passait de plus en plus mal. Ça se lisait dans les réseaux sociaux, dans les journaux.

Et c’était un vrai problème.

Pour passer à travers cette pandémie, il faut pouvoir compter sur des figures d’autorité qui inspirent confiance à la population. Des gens qui peuvent expliquer pourquoi il est important de restreindre les libertés individuelles. Et qui doivent pouvoir le faire le plus clairement possible.

Bien qu’il ait travaillé d’arrache-pied depuis le début de la pandémie, le DArruda n’était pas un grand communicateur. Ne serait-ce que pour ça, il n’était peut-être plus l’homme de la situation.

Mais il y avait aussi autre chose. « Peut-être que je suis trop associé au politique, sur le plan de l’image », avait admis Horacio Arruda lors de notre entretien de mai 2020.

Il avait établi ses quartiers à Québec au début de la crise. Son bureau faisait face à celui du premier ministre. Tout près de l’endroit où se prennent les décisions. Pour avoir, disait-il, une plus grande influence.

Mais cette proximité de tous les instants comportait une faille majeure. Comme le soulignait lundi mon collègue Philippe Mercure, les Québécois en venaient à ne plus savoir si c’était le scientifique ou le sous-ministre adjoint qui leur donnait des consignes aux points de presse…

Lisez l’éditorial de Philippe Mercure

Horacio Arruda parti, l’indépendance du directeur de santé publique par rapport à l’appareil politique reste un problème. Il faudra le régler pour dissiper toute confusion et restaurer la confiance envers son successeur.

« Je le sais depuis le premier jour. Les crises sanitaires ont souvent entraîné la chute d’une personne qui n’est pas nécessairement responsable de tout le système. »

Horacio Arruda m’avait dit ça froidement, à l’époque où tous n’en avaient que pour les tartelettes portugaises.

Il savait ce qu’il risquait. Mais il y a une chose qu’il ignorait encore : « Je ne sais pas, si les choses vont mal, comment je vais le vivre. Avec ma tête, je suis prêt à vivre avec ça. Avec mon cœur, ça pourrait faire mal. »

Maintenant, il le sait. Et oui, ça fait mal, si l’on en croit Christian Dubé. « Le DArruda trouve ça très difficile, a-t-il confié lundi au micro de Paul Arcand, au 98,5 FM. Il ne faut pas oublier qu’on est tous des humains là-dedans. »

Permettez-moi donc de m’adresser un instant à l’humain. Et de lui dire, pour ses 22 mois passés au front : merci, DArruda.

Lisez l’entrevue de mai 2020 avec le Dr Horacio Arruda