Il y a plusieurs années, en reportage, un collègue canadien, un gars d’Edmonton par ailleurs charmant à tous égards, m’avait confié qu’il aurait aimé participer au love-in du 27 octobre 1995, à Montréal. À vrai dire, il était passé à un cheveu de sauter dans un avion pour prendre part à cette grande manifestation d’amour pour le Québec.

Il m’avait raconté ça en toute sincérité. Avec une naïveté presque attendrissante. J’ai dû faire une moue. Il n’avait pas compris ma réaction. Ça l’avait profondément étonné.

Quand on parle de deux solitudes…

J’avais dû lui expliquer que, pour bien des Québécois, cette déclaration d’amour non sollicitée était passée de travers. À trois jours du référendum sur la souveraineté, cette manif leur avait moins semblé une preuve d’attachement qu’une immense fraude électorale en faveur du camp du Non.

Ils n’avaient surtout pas besoin que des dizaines de milliers de Canadians from coast to coast, aussi pures furent leurs intentions, viennent leur dire quoi penser. Ils n’avaient pas besoin de leurs câlins ; plutôt une envie, furieuse, de leur dire de se mêler de leurs oignons.

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Le tout dernier épisode du feuilleton sur la Loi sur la laïcité de l’État a un petit goût de réchauffé de ce love-in qui n’en était pas un, du moins pas pour toutes les parties impliquées.

Depuis une semaine, des villes canadiennes promettent les unes après les autres de verser des centaines de milliers de dollars pour contester une loi québécoise adoptée par des parlementaires québécois.

Depuis 1995, c’est probablement la pire initiative que des Canadiens ont prise pour soutenir leurs alliés coincés sur cette terre québécoise décidément bien inhospitalière…

Calgary, Toronto, Winnipeg… Les villes se bousculent pour se joindre au combat. Elles pensent aider ceux qui s’opposent à la loi 21. Sans se douter une seconde que leurs démarches sont contre-productives.

C’est Brampton qui a ouvert le bal. Cette banlieue de Toronto a promis de verser 100 000 $ à des groupes qui contestent la loi 21 devant les tribunaux québécois. Poussant le bouchon plus loin, le maire, Patrick Brown, a exhorté les 100 plus grandes villes du Canada à se « joindre à la lutte ».

Patrick Brown a expliqué au Globe and Mail que les opposants avaient besoin d’aide financière pour être à armes égales contre le gouvernement du Québec, qui dispose d’immenses ressources. « J’ai été inondé d’appels de maires et de conseillers partout au pays qui veulent contribuer. »

Je veux bien croire à leur sincérité. Je veux bien croire qu’ils sont tous profondément convaincus que la loi 21 est injuste et discriminatoire envers des minorités religieuses. Mais le fait de ne pas se rendre compte à ce point de l’effet négatif qu’aura leur croisade au Québec… c’est sidérant.

Les deux solitudes, indeed.

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Vous allez me dire que vous ne croyez pas une seconde à la sincérité de ces édiles, qu’ils dépensent effrontément des fonds publics pour afficher leur vertu et que je suis décidément bien naïve. Et pourtant, j’y crois.

J’y crois, parce qu’entre le Québec et le Canada anglais, l’incompréhension est totale à propos de la loi 21. Il faut dire que, d’un côté comme de l’autre, on fait trop rarement dans la nuance lorsque vient le temps d’aborder cette question qui fâche.

De nombreux Canadiens anglais jugent cette loi raciste. Point à la ligne. On prend rarement la peine de leur expliquer que bien des Québécois la soutiennent au nom de la neutralité religieuse de l’État.

Rappelez-vous le débat des chefs en anglais, quand la présidente de l’Institut Angus Reid avait statué qu’Yves-François Blanchet niait « le problème de racisme au Québec » avant de lui demander pourquoi, alors, il encourageait des lois discriminatoires…

L’affaire a soulevé une énorme vague d’indignation au Québec. Au Canada anglais ? Pas la moindre vaguelette. Comme si la question allait de soi. Comme si ça allait de soi de parler d’un problème de racisme au Québec.

En juin dernier, quand une famille musulmane a été décimée sur un trottoir de London, en Ontario, il s’est trouvé des chroniqueurs anglos pour faire un lien entre cet attentat et la Loi sur la laïcité de l’État.

Rien pour aider nos amis canadiens à se forger une opinion juste et nuancée de la législation québécoise.

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De la même façon, des commentateurs nationalistes québécois dépeignent de plus en plus les opposants à la loi 21 comme de véritables traîtres à la nation.

Ceux qui osent rappeler son caractère discriminatoire – ce n’est tout de même pas pour rien qu’elle contient une clause dérogatoire la soustrayant à l’application des chartes québécoise et canadienne des droits de la personne – sont traités de lâches, d’élites bien-pensantes, de fieffés malhonnêtes ou d’idiots utiles pour les intégristes.

Toute critique de la loi 21, même légitime, est considérée comme une attaque à l’encontre du Québec et de ses sacro-saintes valeurs laïques. On a perdu tout sens de la mesure.

Depuis Hérouxville et le jambon banni des cabanes à sucre que ce débat se gâte au Québec. Il est aujourd’hui pourri jusqu’à l’os. Ça n’a plus grand-chose à voir avec le port de signes religieux. C’est devenu une bataille idéologique sur le dos des minorités, qui n’ont rien demandé.

Et voilà que ça se transforme encore, cette fois, en affrontement Canada-Québec. François Legault n’en demandait sans doute pas tant. Les opposants à la loi 21, eux, ne peuvent qu’espérer que leurs nouveaux amis canadiens finissent par réaliser que le mieux qu’ils puissent faire, dans ce débat, c’est de se mêler de leurs oignons.