C’est une chronique pour les gens de bonne foi. On se reconnaît, on se connaît. C’est une chronique pour l’immense majorité des Québécois, qui ne sont pas tombés dans les sables mouvants de la désinformation depuis 21 mois.

Ma gang, quoi.

Moi aussi, je suis tanné. Je suis tanné en sacrament, pour parler comme Pierre Lambert.

C’est une chronique pour les Québécois de bonne foi. Ma gang, qui respecte les règles depuis 21 mois. Qui fait des efforts, pas toujours parfaitement, car personne n’est parfait, mais qui comprend le but du jeu.

Je vous lis, depuis deux jours, je sais que vous êtes sur le point de baisser les bras, de dire « Fuck toute ! », de dire « Là, je m’en fous, je décroche ! », je sais que vous êtes sur le point de faire un party à 21 personnes, juste parce que…

Écoutez, je n’ai absolument rien à vendre. On est dans la même gang : vous le savez, que je ne suis pas payé par Bill Gates, vous le savez, que cette pandémie n’est pas un grand complot. Je suis juste un gars qui écrit dans le journal. Mon opinion ne vaut pas plus cher la livre que la vôtre…

Et si vous faites un party à 21 personnes, je promets de ne pas vous condamner. Je l’ai dit récemment : on a dépassé le stade des directives de l’État. Chacun doit se gouverner comme il l’entend.

Je veux juste vous dire quelques trucs du fond du cœur, qui viennent de dizaines d’heures depuis 21 mois à écouter beaucoup trop de microbiologistes-infectiologues, de médecins, d’épidémiologistes, d’infirmières, de proches de malades, de malades et, oui, aussi, des fois, de politiciens…

J’ai écouté ces gens-là pour des chroniques dans La Presse. Je les ai écoutés à la radio, au 98,5 FM.

Et je les ai parfois écoutés juste pour les écouter dans une dynamique qui n’avait plus rien à voir avec le journalisme, dans une dynamique qui était plus proche de la thérapie : juste parce qu’ils avaient besoin d’être écoutés. J’ai écouté ces gens-là, depuis 21 mois, me raconter ce qu’ils vivent, ce qu’ils voient…

Ce qu’ils voient, j’insiste : ils voient ce que nous ne voyons pas. Pour parler de la COVID-19, on invoque souvent la métaphore guerrière, c’est une guerre contre la COVID-19, qu’on dit…

Ouais. Oui et non.

La guerre, on la voit. On en voit les effets, les victimes, on voit le sang et les membres arrachés. Les dommages.

La pandémie, c’est différent : on peut vivre la pandémie sans jamais voir les morts, les éclopés, les burn-out, les soignants qui braillent leur vie dans le vestiaire, les malades qui meurent seuls, à bout de souffle.

Mercredi : 2700 cas. Jeudi : 3700.

Je pense à plein de gens, depuis 48 heures. À des gens au front. Ces gens-là dealent chaque jour avec la mort. Infirmières, médecins, gestionnaires, préposés. Pour eux, cette pandémie n’est pas une montée de lait sur les médias sociaux, ça n’a rien de performatif. Quand les cas montent, eux, ils sont vraiment, vraiment débordés…

Ils souffrent.

Je pense aux soignants. Ils tiennent la main de ceux qui sont intubés. Leur chuchotent une bonne parole, sans savoir si ces malades les entendent. Sans se demander si ces malades ont pris leurs précautions, s’ils étaient vaccinés…

Je pense à eux. C’est pour eux que je vais limiter mes contacts. C’est pour eux que je vais faire attention. Si on se relâche tous, si trop d’entre nous démissionnent, on va les perdre.

Je t’entends, lecteur de bonne foi. Je t’entends pester, dire que cette fois, c’en est trop, qu’on t’en demande trop, que tu n’y crois plus. Je t’entends hurler que le gouvernement ne sait pas ce qu’il fait, ce qu’il dit, une poule pas de tête : hier, le PM parlait de partys à 20-25 pour Noël, et là, à neuf jours de Noël, bang, Omicron oblige, il nous demande de réduire ça à 10. Heille, wô, minute…

Je te comprends.

Et sans doute as-tu (un peu) raison.

Moi aussi, les avance-recule du gouvernement, la pensée magique du PM, Horacio qui s’enfarge dans ses explications, cristie que ça m’exaspère…

On peut les critiquer jusqu’au jour de l’An, jusqu’au jour de l’An 2023.

Ils ont fait des erreurs. Ils en feront encore. Je pense surtout qu’ils font ce qu’ils peuvent.

La vérité des choses, c’est que nous sommes face à un ennemi vieux comme le monde. Un virus. Ces salopards de virus existaient avant nous. Ils existeront sans doute après nous. Ce virus-là sait s’adapter – Hello, Darwin ! – mieux que nous, les humains. La vérité des choses, c’est que cet ennemi est rusé, efficace, imprévisible.

La vérité des choses, c’est qu’il nous force à vivre non pas tant avec lui, le virus, mais avec l’incertitude. Je pense que l’incertitude nous bogue plus que le virus.

C’est à toi que je m’adresse, lecteur de bonne foi. Je vais te comprendre de jeter l’éponge, de dire « Fuck toute ! », de démissionner…

Mais je t’invite quand même à ne pas céder à la démission.

La résignation, bien sûr. L’humour noir, évidemment. La fatalité… peut-être.

Mais abandonner ?

Si on s’en tient à la métaphore guerrière, jeter l’éponge à ce point-ci de la bataille, ce serait déposer les armes devant l’ennemi. Moi, je dis : Fuck l’ennemi. L’ennemi n’est pas mon gouvernement. L’ennemi, c’est le virus. Je ne vais pas l’accommoder, l’ennemi. Je ne vais pas lui rendre la vie plus facile. S’il perce mes défenses, ce sera à mon corps défendant. Il me prendra triplement dosé, masqué, distancié, très-petit-partyïsé…

Permets-moi un accès de grandiloquence, lecteur de bonne foi : je serai Jean Moulin, pas Philippe Pétain.

Et j’invoque Leonard Cohen, dans une de ses plus belles chansons, fable de résistance : Freedom soon will come.

Je te connais, lecteur de bonne foi.

Tu m’écris depuis près de 20 ans.

Je sais que tu as encore des réserves en toi.

Je sais que tu sais que sur une échelle de 1 à on-ferme-tout-et-c’est-le-couvre-feu-à-huit-heures-du-soir, tu sais que ce qu’on vit, c’est encore gérable.

Je sais que tu sais, contrairement à ta cousine qui ne croit que YouTube, que la troisième dose, ouain, faut la prendre.

Je sais que tu sais que pour l’amour de nos soignants, faut limiter les contacts.

Je te fais un fist bump complice, lecteur de bonne foi. On se connaît, on se reconnaît, on sait qu’au-delà de notre exaspération, de nos coups de sang, au-delà de ce que dit – ou pas – notre gouvernement, c’est pas le temps de lâcher.