Vous savez, les photos de pâté chinois semblable à un bloc de ciment et de « viande » baignant dans l’eau brune décongelée qui ont fait les manchettes la semaine dernière* ? Ces repas qu’on a servis aux résidants de trois CHSLD du nord de l’île de Montréal ?

Eh bien, les patients de l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies ont mangé la même chose.

Bof, ce n’est que de la bouffe d’hôpital, me direz-vous.

Il faut savoir que bon nombre de patients hospitalisés à Rivière-des-Prairies sont des enfants et des adolescents qui souffrent de troubles alimentaires.

Et depuis six mois, on leur sert ce genre de gibelotte inqualifiable.

Vous me direz encore que leur problème est davantage dans la tête que dans l’assiette. Mais admettez que la médiocrité des repas qu’on leur sert ne fait sûrement rien pour les aider à retrouver l’envie de manger…

Un professionnel qui travaille auprès de ces enfants est catastrophé. « Pour ceux et celles qui présentent des troubles alimentaires, il est devenu extrêmement difficile de tabler sur la carte d’une “alimentation saine” comme approche de restructuration cognitive, m’écrit-il. Pour les autres, les repas sont devenus des moments de mécontentement. Je ne mangerais personnellement jamais ce qui leur est servi. J’ai au moins le luxe d’apporter un lunch au travail. »

En juin 2021, le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal a centralisé la confection des repas à l’hôpital Rivière-des-Prairies.

Préparés à l’avance et congelés, ces repas sont ensuite placés dans des chariots chauffants et expédiés par camion aux CHSLD Paul-Lizotte, Légaré et Paul-Gouin.

Le but de cette centralisation ? Rationaliser, bien sûr. Mais l’idée des gestionnaires, c’était aussi d’améliorer l’offre alimentaire dans l’ensemble des CHSLD, puisque la qualité des plats y était inégale d’un établissement à l’autre.

Ils ont plutôt réussi à la rendre dégueulasse partout.

Il y a quelques jours, j’ai rapporté le témoignage de Johanne, qui voit sa mère dépérir au CHSLD Légaré depuis qu’on lui sert les pâtes mollassonnes et la salade iceberg brunâtre de l’hôpital Rivière-des-Prairies.

Lisez le témoignage de Johanne

Depuis, les enfants de plusieurs résidants m’ont écrit des variations sur le même thème. « Un des plus grands plaisirs de ma mère a toujours été la bouffe. C’était une excellente cuisinière. Elle est gourmande », m’a écrit une femme dont la mère réside au CHSLD Paul-Lizotte.

Désormais, sa mère ne prend qu’une bouchée et pousse le cabaret : « Pas mangeable ! »

« Elle a perdu l’appétit parce que ce qu’on sert n’est pas appétissant », écrit sa fille. Elle est devenue très maigre. « Ma mère dépérit tranquillement. Je trouve très triste et déplorable qu’elle finisse ses jours plus vite parce qu’elle a cessé de manger. On la prive du seul plaisir qu’il lui reste. »

Le réaménagement de la cuisine de l’hôpital Rivière-des-Prairies a coûté 650 000 $. Les chariots chauffants, eux, ont coûté 500 000 $.

Plus de 1 million de dollars ont donc été engloutis pour servir des plats jugés infects. Quel gâchis.

« La décision a été prise non pas pour réduire les coûts, mais bien pour offrir de meilleurs plats. Visiblement, ce n’est pas le cas dans l’ensemble de nos CHSLD », admet Émilie Jacob, porte-parole du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal.

Si nous sommes toujours convaincus que la centralisation des cuisines demeure une bonne solution pour notre CIUSSS, nous avons nos devoirs à faire.

Émilie Jacob, porte-parole du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal

Un audit externe sera réalisé « dans les meilleurs délais ». En attendant, chaque plat sera inspecté à la sortie de la cuisine. « Si le plat ne répond pas aux critères de présentation, de texture ou de température, il ne sera pas servi au résidant. »

Pendant 28 ans, Réjean Lapointe a été aux fourneaux du CHSLD Légaré. La cuisine y avait été rénovée de fond en comble en 2008, se rappelle-t-il. « On faisait comme si c’était un restaurant. On voulait que les gens aient envie de venir dans la salle à manger. »

Les résidants ne se faisaient pas prier. Les employés non plus. Même qu’ils en redemandaient…

Le secret de son succès était simple. Parler aux résidants. Connaître leurs goûts et leurs dégoûts. « Quand c’est fait en usine, ça devient impersonnel. On perd de l’intérêt… »

« Il faut revoir tout ça », tranche-t-on au cabinet de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais.

Le gouvernement entend rectifier le tir. « On ne peut pas tout centraliser. On ne fait pas de l’asphalte, on nourrit des aînés et des ados », me dit une conseillère politique.

Dans les futures Maisons des aînés, « chacun va avoir sa propre cuisine. Ça va être du manger maison ».

De toute évidence, le message ne s’est pas rendu en Abitibi-Témiscamingue.

Là-bas, le CISSS a confié au journal Le Citoyen que la centralisation des cuisines de Rouyn-Noranda serait complétée au printemps 2022 « afin de pouvoir l’arrimer avec la nouvelle Maison des aînés ».

* Lisez « Cuisine en CHSLD : voici un pâté chinois qu’on sert à nos aînés » du Journal de Montréal