Ce qui se passe aux États-Unis ces jours-ci est franchement inquiétant. Donald Trump n’est plus président. Mais le trumpisme, lui, est toujours vivant. Le trumpisme est même pétant de santé.

Le trumpisme ?

C’est une pensée politique qui peut se résumer ainsi : la fin justifie les moyens, en fait tout se justifie, même la violence, si ça permet au Parti républicain de se maintenir au pouvoir.

Ce qui est le contraire de la démocratie, bien sûr.

Parlant de démocratie, l’ex-président Trump lui-même n’a pas reconnu l’élection de Joe Biden. Une grande partie du Parti républicain pense que l’élection a été truquée, ce qui est faux. Et la rhétorique officielle du Parti républicain se radicalise de plus en plus, comme si c’était possible.

Le parti de Donald Trump tolère aujourd’hui des choses qui, naguère, pouvaient torpiller des carrières politiques.

Un exemple : récemment, les leaders du Parti républicain ont été incapables de condamner un représentant, Paul Gosar, qui a mis en ligne une vidéo d’animation supposément ludique le montrant tuant une adversaire démocrate, rien de moins.

Ne jamais condamner les siens, sous aucun prétexte : les leaders républicains refusent toujours de condamner les partisans de Trump qui ont pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier. Les putschistes auraient pendu le vice-président Pence, s’ils l’avaient trouvé, ce jour-là. On cherche encore les voix républicaines qui s’en émeuvent publiquement. Trump, on le sait, a encouragé les émeutiers. Et il ne les a jamais dénoncés.

Quelques semaines avant la tentative de putsch, en plein débat présidentiel contre Biden, Trump avait envoyé un signal à un groupe fasciste, les Proud Boys, les enjoignant à se tenir prêts. Les Proud Boys sont considérés comme une organisation terroriste, au Canada.

Les élus et candidats républicains qui posent avec leurs armes et qui publient des vidéos de financement électoral où ils détruisent des symboles de leurs ennemis démocrates se multiplient. Ils ne sont pas plus dénoncés par l’establishment du parti. Ils brandissent sans rire l’épouvantail du communisme pour parler des démocrates.

Ces élus et candidats relaient un sentiment bien présent dans l’électorat républicain : 30 % des républicains croient que de « vrais patriotes » pourraient devoir utiliser la violence pour « sauver » les États-Unis, a rapporté récemment le New York Times 1 dans un article sur la banalisation de la rhétorique violente dans le parti de Trump.

Cette banalisation de la violence a bien sûr commencé avec Trump lui-même, il y a des années, quand, candidat, il invitait ses partisans à battre des manifestants qui le chahutaient dans ses rassemblements politiques. Et quand il a dit cette chose terrible, mais absolument vraie : il pourrait tuer quelqu’un en pleine rue qu’il ne perdrait pas un seul vote…

J’ai longtemps eu confiance en la fibre démocratique de nos voisins pour endiguer la radicalisation au sein du mouvement conservateur. Je ne suis plus du tout optimiste : dans les législatures de plusieurs États, les républicains se préparent à arranger les élections à venir. On réorganise les frontières des circonscriptions, pour maximiser le nombre d’élus républicains2. On multiplie les mesures pour rendre plus difficile l’élection de démocrates3.

Ces manœuvres dans les États dominés par des républicains symbolisent leur vision de la démocratie, version trumpiste : c’est une belle et grande chose, la démocratie… quand nous gagnons.

Depuis 50 ans, l’OBNL américain Freedom House publie un palmarès annuel de la santé démocratique dans le monde. Cette année, le palmarès a confirmé l’érosion de la santé démocratique aux États-Unis : les USA ont encore reculé, avec une note de 83 % (la Suède, la Finlande et la Norvège sont à 100 % ; le Canada, à 98 %).

Je suis devenu adulte quand l’empire soviétique s’est écroulé, libérant du totalitarisme des millions de personnes dans l’ex-URSS et dans les pays de l’Est. L’avenir de la démocratie était alors radieux. Son avènement dans le monde était vu comme inévitable. C’était naïf.

Trente ans plus tard, l’idéal démocratique est carrément menacé, selon Freedom House4. Le club des pays autoritaires – mené par la Chine et la Russie – recrute activement de nouveaux membres.

Même son de cloche dans un article fascinant et épeurant du magazine The Atlantic, « The Bad Guys Are Winning » 5, les méchants sont en train de gagner. Et en ces temps périlleux pour l’idéal démocratique dans le monde, note l’auteure, Anne Applebaum, les États-Unis ne font rien pour le défendre. Je cite Applebaum : « La primauté de la démocratie dans la politique étrangère américaine est en déclin depuis des années – à peu près au même rythme que le respect pour la démocratie déclinait aux États-Unis même. »

On me dira que c’est aux États-Unis, que ça ne nous concerne pas…

C’est faux et c’est un peu fou de penser ça.

Notre immense voisin est un géant qui peut nous terrasser simplement en éternuant. Ce qui se passe aux États-Unis a des conséquences directes dans nos vies. Ce ne sera pas différent avec la dérive autoritariste de nos voisins. Déjà, des chefs politiques comme Maxime Bernier s’inspirent directement du trumpisme pour gagner des votes, ici. Et les idées conspi-négationnistes made in USA contaminent des esprits, ici.

Dans sa chanson Democracy, Leonard Cohen évoquait poétiquement l’expérience démocratique américaine. Il décrivait les États-Unis comme ce « cradle of the best and the worst », le berceau du meilleur et du pire…

Je me prépare au pire, ces jours-ci.

1. Lisez l’article du New York Times (en anglais) 2. Lisez l’article du Guardian (en anglais) 3. Lisez l’article du New York Times (en anglais) 4. Consultez le rapport de Freedom House (en anglais) 5. Lisez l’article du magazine The Atlantic (en anglais)