Où est passée Peng Shuai ? A-t-elle été enlevée par le gouvernement chinois ?

Impossible de le savoir.

Ce qu’on sait, c’est qu’une femme disparue dans un pays de 1,4 milliard de personnes est en train de faire ce que 1 million de personnes dans des camps de concentration n’ont pas réussi : faire honte au Comité international olympique qui a décidé de tenir des Jeux en Chine.

Aussi, à l’entrée « courage » du dictionnaire, on pourrait mettre la photo de Peng Shuai.

Même si vous êtes amateur de tennis, son nom ne vous dit peut-être rien. Elle a 35 ans. Un temps 14e raquette au monde en simple, 1re en double. Trois Jeux olympiques pour la Chine. Célèbre dans son pays.

Le mardi 2 novembre, elle a « publié » sur le réseau social chinois Weibo (un Twitter local) qu’elle avait été agressée sexuellement par un ex-dirigeant chinois, et pas le moindre.

Elle savait très bien ce qu’elle risquait dans ce #metoo.

PHOTO WU HONG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Zhang Gaoli, ancien vice-premier ministre de la Chine

« Je sais que pour une personne aussi éminente que vous, vice-premier ministre Zhang Gaoli, vous me l’avez dit, vous n’avez pas peur. Mais même si c’est seulement moi, comme un œuf frappant une roche, ou un papillon dans les flammes, courant à l’autodestruction, je dirai la vérité à votre sujet. »

Ce que Peng Shuai a fait, c’est l’équivalent informatique de se dresser devant les tanks de l’armée chinoise à la place Tiananmen.

Son message a échappé un temps à la censure. Il a eu un retentissement gigantesque avant d’être effacé. Plusieurs mots, même « tennis », ont été rayés un temps des moteurs de recherche par les censeurs chinois, selon le New York Times.

Et Peng Shuai n’a jamais été revue depuis.

Mercredi, une capture d’écran étrange a été diffusée par les médias officiels chinois. « Elle » dément ce qu’elle a publié il y a deux semaines, qualifiant ses propos de « mensongers ». Elle dit qu’elle va bien, mais qu’elle se repose simplement chez elle.

Mais personne n’a pu avoir une communication directe avec elle. Personne ne l’a aperçue. Et à peu près personne ne croit ce communiqué authentique.

Les Jeux de Pékin commencent le 4 février, donc dans à peine deux mois et demi. Le Comité international olympique (CIO) est sommé de prendre position par de nombreux athlètes olympiques et les médias.

Ne vous attendez pas à la moindre dénonciation officielle. La « diplomatie silencieuse » est plus efficace, a déclaré le CIO.

L’été dernier, à Tokyo, quand une athlète biélorusse a dénoncé une décision de sa fédération d’athlétisme (on l’a inscrite sans lui dire au 400 m alors qu’elle est spécialiste du 100 m et du 200 m), ses entraîneurs l’ont reconduite de force à l’aéroport. Kristina Tsimanouskaya a finalement trouvé refuge en Pologne, tandis que les entraîneurs ont été expulsés et bannis depuis par le CIO.

PHOTO PETROS GIANNAKOURIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Thomas Bach, président du Comité international olympique

« Nous ne sommes pas en position de changer le système politique dans un pays, ce n’est pas notre mission », avait dit à Tokyo Thomas Bach, président du CIO. « Notre responsabilité est de protéger les sportifs le mieux possible, de sanctionner et de tenir loin des Jeux ceux qui ne respectent pas nos valeurs. »

Il va de soi que le CIO ne peut pas changer le régime chinois.

Mais la disparition d’une ancienne athlète olympique pour cause de prise de parole publique montre seulement un peu mieux à qui le CIO a confié les Jeux olympiques.

Ça sera difficile de « tenir loin des Jeux ceux qui ne respectent pas nos valeurs », quand c’est un État de non-droit qui les organise.

Mais une fois de plus, le train des Jeux est sur les rails, et Thomas Bach avalera des couleuvres jusqu’à la cérémonie de clôture.

Le député Alexis Brunelle-Duceppe a réussi à faire adopter par la Chambre des communes une résolution déclarant que la Chine commet un génocide à l’endroit des Ouïghours, minorité musulmane de la province du Xinjiang. Depuis le mois de juin, un « tribunal » privé mis sur pied par des juristes a entendu des témoignages de victimes et doit prononcer un jugement avant la fin de l’année. La cour n’a aucune valeur juridique, mais vise à attirer l’attention internationale sur la base de faits documentés. Des stérilisations forcées, l’apprentissage forcé du chinois pour des élèves enchaînés, des exécutions, des viols à grande échelle : les témoignages sont nombreux.

Le procureur n’est pas un inconnu ; c’est Geoffrey Nice, l’un des procureurs qui ont mené le dossier contre Slobodan Milošević pour crimes contre l’humanité en ex-Yougoslavie.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alexis Brunelle-Duceppe, député du Bloc québécois

Le député du Bloc, avec d’autres parlementaires, veut convaincre la communauté internationale de reporter les Jeux d’un an, pour forcer la Chine à permettre un examen de la région, ou à défaut de déplacer les Jeux. Les chances sont minces : la Chine nie fermement ces « mensonges » et n’a aucune intention d’inviter des inspecteurs. Ensuite, aucun pays n’a annoncé son intention de boycotter les Jeux ni n’en a fait la menace.

Ce qui se dessine, c’est un « boycottage diplomatique ». Les Américains, qui reconnaissent officiellement un génocide des Ouïghours, s’apprêtent à annoncer qu’ils n’enverront aucun représentant politique. Beaucoup suivront sans doute. Mais les athlètes y seront.

Mais qui sait de quelle manière tournera l’affaire Peng Shuai ? Si le mystère persiste, la « diplomatie silencieuse » va devenir chaque jour un peu plus honteuse. Ça rappellera formidablement au monde qu’il s’en va célébrer la jeunesse, le sport et la fraternité dans un État totalitaire.

Je ne sais pas si le papillon s’est brûlé, mais son vol est en train de faire une tempête.