« Une des relations les plus faciles qu’on puisse avoir comme président américain ».

Voilà comment Joe Biden a résumé en une toute petite phrase jeudi le point de vue de la Maison-Blanche sur la relation avec le Canada, alors qu’il recevait Justin Trudeau pour la première fois en tête à tête dans le bureau Ovale. Juste avant la tenue du premier sommet Canada–États-Unis–Mexique. La première rencontre des « Trois Amigos » en cinq ans.

« Facile ». Ce mot se voulait un compliment, un rappel du lien entre les deux voisins et grands partenaires commerciaux, une politesse. Il y a fort à parier cependant que le premier ministre canadien a avalé sa salive de travers en entendant ce qualificatif en apparence anodin. Pour son gouvernement, la relation avec les États-Unis est tout sauf facile.

Bien sûr, l’ère Trump est révolue. Justin Trudeau et ses ministres n’ont plus à frôler les murs en espérant que le géant au caractère changeant ne piquera pas une grosse colère pour une broutille. Ils se permettent de parler avec fermeté.

Force est d’admettre cependant que le géant d’aujourd’hui, s’il est moins soupe au lait, est quand même centré sur son propre appétit et sur ses priorités.

Le pays « facile » doit comprendre qu’il n’est pas en haut de sa liste.

Le principal objectif de Justin Trudeau ces derniers jours était de combattre les mesures protectionnistes dont l’administration Biden est aussi friande que celle qui l’a précédée.

Le premier ministre a notamment passé deux jours à « soulever les inquiétudes » du Canada à l’égard du projet de crédit d’impôt pour inciter les Américains à acheter des véhicules électriques construits entièrement aux États-Unis. Et de la politique renforcée du Buy American.

Justin Trudeau et ses ministres en ont parlé au président américain, mais aussi aux membres du Congrès, notant que cette pratique contreviendrait à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), la version post-Trump de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Ils n’ont reçu que des réponses vagues sur un ton cordial.

Dans ce dossier, le Canada semble le dernier des soucis de Joe Biden. Avec une cote de popularité tournant autour de 40 %, selon les plus récents sondages, le président est en campagne ces jours-ci pour flatter son électorat dans le sens du poil. Et pour préparer les élections de mi-mandat qui, dans à peine un an, pourraient rebattre complètement les cartes du pouvoir au Congrès, si les républicains reprennent du terrain.

Le président démocrate ne peut donc pas se permettre de perdre l’appui des États industriels du nord-est et du Midwest – la Rust Belt – largement responsable de l’élection de Donald Trump en 2016.

Mercredi, alors que Justin Trudeau chantait les louanges du libre-échange dans la capitale américaine, Joe Biden faisait la promotion de ses mesures protectionnistes dans une usine de Detroit, a noté ma collègue Mélanie Marquis, dépêchée à Washington.

Le pays « facile » devrait être compréhensif.

Dans le triangle diplomatique que forment les Trois Amigos, le Canada doit aussi comprendre qu’il n’est pas le côté du triangle qui préoccupe le plus l’administration Biden ces jours-ci.

S’il y a un enjeu qui plombe le taux d’approbation des Américains à l’égard de leur président, c’est la gestion de la frontière avec le Mexique.

Au cours de l’exercice financier 2021, les forces de l’ordre américaines ont intercepté 1,7 million de migrants, soit quatre fois plus qu’en 2020. La majorité d’entre eux ont été expulsés du pays.

L’administration Biden utilise notamment une règle sanitaire mise en place par Donald Trump pour bloquer l’accès aux demandeurs d’asile, les laissant patienter du côté mexicain de la frontière.

Cette pratique rend les États-Unis particulièrement vulnérables à l’égard du Mexique. Si le président Andrés Manuel López Obrador décidait de ne plus collaborer, Joe Biden, déjà en eaux troubles, se retrouverait en pleine tempête.

Jeudi, dans son mot de bienvenue au président mexicain, Joe Biden a loué la relation d’égal à égal avec le voisin du Sud, le respect mutuel. Tout un changement de ton par rapport à Donald Trump, qui profitait de chaque occasion pour parler du mur qu’il voulait construire à la frontière. Dans le tango américano-mexicain actuel, ce sont les États-Unis qui doivent s’assurer de ne pas écraser l’orteil du partenaire de danse.

Le pays « facile » devrait comprendre ça aussi.

Cependant, il y a des jours où le pays facile en a assez de jouer les invités modèles. Celui à qui l’on donne les restes du souper de l’Action de grâce parce que c’est un vieux pote, un fidèle, qui ne se formalisera pas qu’on ne mette pas les petits plats dans les grands pour lui.

Il y a des jours où le pays facile a envie de rappeler au président américain qu’il est le plus grand importateur de produits de son pays au monde. Qu’il importe plus des États-Unis que la Chine, le Japon et le Royaume-Uni réunis.

Lui rappeler que facile, ça ne veut pas dire éternellement patient.