Mercredi, à l’unité des soins palliatifs où elle est hospitalisée, la Dre Nadia Chaudhri, atteinte d’un cancer incurable, a fêté la promotion dont elle rêvait depuis longtemps : elle est désormais professeure titulaire au département de psychologie de l’Université Concordia. Promue à ce poste prestigieux pour avoir fait preuve d’excellence en enseignement et en recherche.

« Mon beau-père voulait qu’on souligne cette promotion. Alors il est venu avec ma famille. Il y avait des boissons, de la crème glacée et des ballons. C’était vraiment agréable. Mais là, je suis très fatiguée ! »

Très affaiblie par la maladie, Nadia Chaudhri refuse désormais les entrevues. Mais malgré la fatigue, de son lit du Centre universitaire de santé McGill, elle a tenu à me parler, voulant reprendre notre conversation là où nous l’avions laissée au printemps.

Je vous ai déjà raconté en avril l’histoire à la fois tragique et inspirante de cette femme lumineuse de 43 ans, atteinte d’un cancer en phase terminale, qu’elle documente jour après jour d’une façon bouleversante sur son fil Twitter tout en amassant des fonds pour une cause qui lui tient à cœur.

LISEZ la chronique « Tout n’est pas terminal »

Lorsque je lui ai parlé en avril, la Dre Nadia Chaudhri se demandait, la voix brisée, si elle serait encore vivante en mai. Elle savait que son diagnostic – un cancer des ovaires décelé tardivement – ne pardonne pas. Un destin d’une cruauté sans nom pour cette mère d’un garçon de 6 ans, à qui on venait de dire de préparer ses funérailles.

Cinq mois plus tard, Nadia Chaudhri est heureuse que la ligne du temps posée sur sa vie ait pu se prolonger. « Je me sens chanceuse d’avoir eu encore plus de temps. Ce n’est pas clair combien il m’en reste. Mais je suis déterminée à tirer le meilleur des moindres parcelles qu’il me reste. »

Ce sursis aura ainsi permis à cette neuroscientifique passionnée par son travail de réaliser son rêve d’être professeure titulaire. Il était déjà prévu qu’elle postule avant que la maladie l’en empêche. Lorsque son chef de département l’a appelée il y a quelques jours pour lui dire que ses collègues avaient complété les démarches pour elle et qu’elle était promue, elle a pleuré de joie et de reconnaissance.

Elle pleure encore en l’évoquant. « C’est un tel honneur. Dans ma carrière académique, c’était un de mes petits regrets de n’avoir pu atteindre cet objectif. Ça peut sembler un objectif idiot. Mais c’est immense pour quelqu’un comme moi qui suis arrivée ici du Pakistan et qui ai affronté tant de choses. C’est quelque chose qui m’apporte de la paix et qui apportera de la fierté à mon fils. »

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Pendant que l’on s’agite trop souvent autour de vaines polémiques sur Twitter, la professeure Chaudhri a ce don incroyable de nous ramener à l’essentiel.

Elle aurait pu décider, de manière parfaitement légitime, de vivre cette épreuve en toute intimité. Mais elle a plutôt choisi de le faire publiquement sur Twitter en réfléchissant à l’héritage qu’elle voulait laisser.

Au départ, ça l’effrayait beaucoup. Elle n’arrivait pas à en parler. Puis, des mois plus tard, elle a surmonté sa peur. Elle qui n’utilisait auparavant Twitter que pour son travail s’y est lancée à cœur ouvert, en tremblant. Elle s’est mise à y raconter ses hauts et ses bas, ses peurs et ses joies, tout en amassant des fonds pour soutenir des étudiants de minorités sous-représentées dans son domaine.

Ses abonnés des quatre coins du monde lui envoient chaque jour des encouragements, des mots doux, des photos, des vidéos, des chansons… Galvanisée par cette vague de soutien, Nadia Chaudhri s’est lancée dans une deuxième collecte de fonds – la bourse Nadia Chaudhri Wingspan – pour soutenir des diplômés issus de groupes minoritaires qui souhaitent faire de la recherche en neurosciences à Concordia. Une façon pour elle de poursuivre sa mission d’enseignement et de mentorat qu’elle doit abandonner à regret.

Pour chaque don recueilli, elle s’est engagée à marcher dans le corridor de l’unité des soins palliatifs. Même au bout de ses forces, elle a marché la tête haute, en s’amusant parfois à se déguiser. « J’ai essayé de rendre ça amusant pour les gens. »

Une somme de plus de 500 000 $ a ainsi été amassée, pas à pas. C’est sans compter les milliers de messages qui accompagnent les dons.

« Tout ce soutien et cet amour, c’est magique ! Je n’ai jamais ressenti autant d’amour. Ça coule vers moi de partout. Comme des rayons d’amour multicolores qui inondent ma chambre. »

Elle se demande ce qui lui vaut une telle réponse. « Les gens réagissent peut-être à la façon dont j’ai préparé mon fils et mon mari à ma mort. On a eu des conversations très franches. Mon fils connaît par exemple mon souhait d’être incinérée. Mais j’ai dû lui expliquer ce que ça voulait dire. »

Nadia Chaudhri est vite devenue une star de Twitter. Nous sommes plus de 110 000 à l’y suivre, soufflés par sa grâce, sa dignité et sa sagesse. Nous sommes des milliers à avoir pleuré avec elle la fois où elle nous apprenait qu’elle venait de vivre le jour le plus difficile de sa vie en annonçant à son fils qu’elle était en train de mourir. À sourire avec elle les jours de petites victoires aux soins palliatifs où elle a pu avoir une permission spéciale pour aller lire une histoire à son fils avant de le border. À saisir à travers ses mots et ses peintures à quel point la vie est fragile et cruelle, à quel point cette femme est forte et lumineuse. À s’inquiéter lorsqu’elle est soudainement silencieuse.

« Peut-être que les gens voient que je n’ai pas peur de mourir. Parce que, ultimement, quel choix ai-je ? J’ai fait tout ce que j’ai pu pour tenter d’avoir un traitement qui fonctionne. Mais ça n’a pas fonctionné. Je veux que personne ne dise que j’ai perdu ma bataille contre le cancer. Les traitements n’ont pas marché », dit-elle en insistant sur l’importance de mieux dépister le cancer des ovaires et de financer davantage la recherche.

Réfléchissant à voix haute à ce flot déconcertant d’amour qu’elle reçoit de purs inconnus, elle ajoute : « Peut-être que ça ramène les gens vers les deuils et les tragédies de leur vie et la façon d’y faire face ? »

Elle me demande ce qui, d’après moi, est à la source d’une telle réaction.

La gorge nouée, j’ai eu du mal à bien formuler ma réponse.

Je me reprends ici : les gens sont touchés parce qu’ils voient très bien que Nadia Chaudhri n’est pas seulement une professeure titulaire d’exception. Avec sa façon unique de faire jaillir la beauté d’un destin crève-cœur, elle est aussi une magnifique professeure de courage.

CONSULTEZ le fil Twitter de Nadia Chaudhri (en anglais) :

https://twitter.com/DrNadiaChaudhri

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