Kahsennenhawe Sky-Deer collectionne les premières.

Samedi, cette Mohawk de 41 ans est devenue la première femme élue grande cheffe de Kahnawake.

Du même coup, elle est devenue la première représentante de la communauté gaie à diriger le conseil de bande.

Et elle est sans doute la première personne élue à la tête d’une structure dont elle souhaite, à terme, la disparition.

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Bien sûr, ça ne se fera pas du jour au lendemain.

Mais lorsque Kahsennenhawe Sky-Deer parle de réconciliation, elle ne parle pas du gouvernement canadien ni des municipalités québécoises avoisinantes.

Elle parle de sa propre communauté.

Elle parle de bâtir des ponts entre les traditionalistes et les partisans d’un conseil de bande considéré par les premiers comme un rouage du système colonial.

Après tout, c’est la Loi sur les Indiens qui a imposé aux autochtones ces conseils et ces élections à la sauce canadienne, à la fin du XIXe siècle.

Longtemps, les conseils de bande ont d’ailleurs été administrés par les « agents des Indiens », des représentants du gouvernement fédéral chargés de faire régner l’ordre dans la réserve.

« Le conseil de bande a évolué. L’époque où les agents des Indiens faisaient le travail du gouvernement fédéral est derrière nous », admet Mme Sky-Deer.

N’empêche. Il existe toujours à Kahnawake deux structures de gouvernance. Et ces deux structures contribuent encore aujourd’hui à semer la division au sein de la communauté de 8000 habitants de la Rive-Sud de Montréal.

La nouvelle grande cheffe veut ramener la paix.

« Nous devons trouver une façon de retourner à nos modes de gouvernance originaux. Et ce n’est pas ça », dit-elle en pointant l’immeuble qui abrite le conseil de bande.

Il faut une évolution… vers ce que nous avons déjà été.

Kahsennenhawe Sky-Deer, grande cheffe de Kahnawake

Un retour vers le futur à Kahnawake.

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Une pluie fine tombe dans le stationnement où la nouvelle grande cheffe m’accorde une entrevue – les bureaux du conseil sont fermés aux visiteurs, à cause de la COVID-19.

Tout près, des peluches détrempées et des centaines de petits souliers sont alignés sur le pas de l’église catholique, au bord de la voie maritime du Saint-Laurent.

La douleur est vive, ici comme ailleurs.

Des parents, des grands-parents ont été envoyés dans des pensionnats. D’autres ont été envoyés dans des écoles gérées par des congrégations religieuses. Ces enfants-là ont appris à devenir de parfaits petits Canadiens. À effacer leur identité. Ils en sont même venus à oublier leur langue.

Kahsennenhawe Sky-Deer a fait partie des premières cohortes d’élèves à fréquenter l’école Karonhianonha, qui offre un programme d’immersion complète en langue mohawk, le kanyen’kéha. Elle a appris la culture, l’histoire, les traditions.

Contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, elle est sortie de l’école en sachant qui elle était.

« Ça a été un apprentissage de vie. J’ai appris ce que cela ça signifiait d’être kanyen’kehà:ka », c’est-à-dire le « peuple des silex », en langue mohawk. « Je veux le partager avec mon peuple. »

Mme Sky-Deer maîtrise le kanyen’kéha, fréquente la maison longue et participe aux cérémonies traditionnelles. Mais elle a aussi siégé 12 ans au conseil de bande, responsable de la défense du patrimoine. Elle navigue entre les deux mondes.

Ça tombe bien, pour quelqu’un qui veut bâtir des ponts.

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Kahsennenhawe Sky-Deer n’était qu’un bébé quand Joe Norton a été élu pour la première fois grand chef, en 1980. Le même Joe Norton était encore grand chef à sa mort, en août dernier. Il a régné sur Kahnawake pendant des décennies.

Voilà qu’entre en scène une femme gaie, qui a fait des études universitaires en psychologie en Floride et qui a été quart-arrière au sein d’une équipe professionnelle de la Ligue américaine de football féminin, au début des années 2000.

Rien de tout cela n’est un obstacle. Au contraire, être femme est « une force », croit Mme Sky-Deer.

« En tant que femme, je pense que j’ai une approche différente de la gouvernance. J’ai besoin d’entendre les gens de la communauté, d’entendre leurs idées et certaines des solutions que nous n’avons peut-être jamais considérées » au sein du conseil de bande.

C’est comme ça qu’elle veut rapprocher les membres de la communauté. En les consultant plutôt qu’en imposant ses décisions – comme les chefs traditionnels le faisaient, jadis, dans la maison longue.

Si elle parvient à unir les gens, la communauté n’en sera que plus forte pour revendiquer ses droits et sa souveraineté, fait-elle valoir. « Je sens un changement qui s’en vient. »

Jamais l’occasion n’a été aussi bonne, pour les autochtones du Canada, de se faire entendre. Et pour les Mohawks de Kahnawake, de rappeler qu’ils sont « coincés sur un territoire de la grosseur d’un timbre-poste ».

C’est le moment. D’autant plus qu’une Inuite, Mary Simon, vient d’être nommée gouverneure générale. Mme Sky-Deer se promet de contacter la représentante de la Couronne pour lui faire part de revendications territoriales mohawks qui stagnent, dit-elle, depuis 18 longues années. « Je pense que la gouverneure générale a un certain degré d’influence sur le premier ministre et son cabinet. »

La grande cheffe ne ménagera aucun effort pour réconcilier son peuple. Elle espère que le gouvernement Trudeau en fera autant et prouvera qu’il est sérieux lorsqu’il parle de réconciliation. « Il est temps. »