Des policiers montréalais ont adopté de « multiples comportements de profilage racial » en arrêtant un automobiliste noir sans motif valable en 2021, vient de trancher la justice. L’intervention problématique a été filmée par une caméra corporelle achetée sur l’internet par une patrouilleuse, une pratique qui soulève des questions.

Kwadwo Damoa Yeboah se trouvait dans un véhicule avec sa fille de 15 ans, sur le boulevard René-Lévesque, lorsqu’il a été intercepté pour usage de cellulaire au volant par des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

L’intervention de routine a mal tourné. M. Yeboah est sorti de son véhicule. Les policiers lui ont fait une clé de bras, il a rapidement été menotté puis placé à l’arrière d’une voiture de patrouille.

Le juge Marc Alain, de la cour municipale de Montréal, a déterminé dans un jugement daté du 4 juin dernier que le comportement des policiers avait été empreint de plusieurs éléments de profilage racial. « Ils sont nombreux, inconscients parfois et conscients souvent », a écrit le magistrat. Il s’agit d’une « inconduite grave qui ne peut être tolérée ».

Le jugement montre notamment du doigt la décision de menotter le suspect alors qu’il ne montrait pas de signes d’agressivité et le fait de le retenir pendant plus de dix minutes malgré des vérifications concluantes de son permis de conduire.

La cour municipale a prononcé un arrêt du processus judiciaire dans le dossier de M. Yeboah, indiquant que le profilage racial avait teinté le dossier.

« De mauvaise foi »

Pour trancher la cause, le juge Alain a pu visionner les images captées par la caméra corporelle d’une policière.

Il ne s’agissait pas d’un appareil fourni par le SPVM, mais bien d’une caméra achetée aux frais de l’agente, directement sur l’internet. Les policiers du SPVM réclament depuis longtemps des caméras corporelles et un projet-pilote a été mené à l’interne, mais leur implantation à grande échelle est au point mort.

La policière en question était « en désaccord avec la fin du projet-pilote » et « voulait se protéger d’une plainte éventuelle de profilage racial », relate la décision. « Elle croit que les policiers doivent porter des caméras corporelles. »

Or, la façon dont la policière a géré l’enregistrement a été retenue contre elle par la justice. Elle en a rapidement montré les images à ses collègues au poste de police, mais n’a pas révélé son existence dans ses rapports et ne l’a pas déposé comme un élément de preuve.

La rétention de la vidéo de la caméra corporelle […] est un déni de justice grave qui constitue un indicateur de profilage racial conscient.

Le juge Marc Alain

L’évènement a aussi été capté par la vidéosurveillance d’un hôtel voisin. Cet enregistrement a rapidement été récupéré par un policier, mais son existence a elle aussi été tenue sous silence pendant plusieurs mois.

« Les policiers sont de mauvaise foi lorsqu’ils omettent d’inclure leur connaissance et leur possession des deux vidéos dans un rapport, indique le jugement. Les policiers n’ont pas à se défendre en cachant des vidéos au système judiciaire et en gardant des vidéos secrètes. »

Client « très satisfait »

MFernando Belton, qui représente Kwadwo Damoa Yeboah, s’est réjoui de la décision de la cour municipale.

« Mon client est très satisfait », a-t-il dit en entrevue téléphonique.

Le juge dénonce notamment que les policiers ont caché de la preuve et sont venus induire le tribunal en erreur.

MFernando Belton, qui représente Kwadwo Damoa Yeboah

MBelton mène aussi une poursuite au civil relativement aux mêmes évènements.

Le SPVM et la Ville de Montréal n’ont pas voulu commenter l’affaire.

« Le Service des affaires juridiques de la Ville de Montréal (Direction des poursuites pénales et criminelles) analyse présentement la décision, a indiqué le relationniste Gonzalo Nunez. Par conséquent, aucun commentaire ne sera émis. »

Le SPVM a indiqué prendre « connaissance de toutes les causes concernant son organisation ». « Comme dans tout autre dossier judiciarisé, il existe un délai de 30 jours pour en appeler d’une décision rendue. Nous allons prendre le temps d’analyser celle-ci et laisser le processus judiciaire suivre son cours. Nous ne ferons aucun autre commentaire pour l’instant. »