Une résidante de la Montérégie dénonce une situation de « grossophobie » dans un établissement du CISSS de la Montérégie-Est : un médecin orthopédiste lui aurait suggéré des diètes plutôt qu’une opération dont elle avait grandement besoin.
Depuis bientôt deux ans, Manon Provencher vit avec d’intenses douleurs à la hanche. Des radiographies réalisées le 10 décembre 2021 montraient une usure légère. Mais ses maux se sont grandement accentués dans les mois suivants, jusqu’à devenir « insoutenables ».
« Je me déplace avec une canne, je boite. Je suis incapable de mettre mes bas, mes souliers, de couper mes ongles d’orteils », décrit-elle dans une plainte déposée au CISSS de la Montérégie-Est et que La Presse a consultée.
En septembre 2022, alors que sa qualité de vie se dégrade, Mme Provencher est orientée en orthopédie par son médecin de famille. La consultation a lieu le 9 novembre suivant.
Le spécialiste « a seulement regardé la radiographie » qui datait d’environ un an, raconte la femme de 61 ans en situation d’obésité.
Il m’a dit : “Écoutez, madame, c’est une usure légère.” Il ne m’a pas auscultée. Il m’a tout de suite parlé de diètes et d’une consultation avec un nutritionniste. Je lui ai dit : “Je souffre tellement, ça n’a pas de bon sens.” Il a fini par me dire : “De toute façon, avec le poids que vous avez, je ne vous opérerais pas.”
Manon Provencher
Le surpoids et l’obésité peuvent en effet compliquer la chirurgie de la hanche.
À force de protestations, le médecin lui propose une injection de cortisone dans la hanche, un traitement qui « n’a rien donné », dit-elle.
« De novembre 2022 jusqu’au 24 juillet 2023, j’ai continué à souffrir et ma condition physique s’est détériorée », note la patiente dans sa plainte écrite.
Durant cette période, elle cogne à plusieurs portes : ostéopathe, acupuncteur, kinésithérapeute, physiothérapeute, etc. « À part vous bourrer de pilules, je ne peux plus rien faire pour vous », lui aurait dit son médecin de famille, qui se fiait à l’avis de l’orthopédiste pour écarter tout problème majeur à la hanche.
Une réponse du privé
Excédée, la grand-mère de quatre petits-enfants se tourne vers le privé ; elle consulte un physiatre au Centre d’interventions spinales de Montréal. Sur la base d’un examen physique et d’une injection radioguidée, celui-ci décèle lors d’un second rendez-vous une dégradation importante à… la hanche droite.
« Il me dit : “Madame, votre hanche est finie, je le vois.” » Le physiatre demande de nouvelles radiographies. Résultat ? « Usure sévère ».
Le médecin de famille de Mme Provencher obtient pour sa patiente un deuxième avis en orthopédie dans le réseau public. Elle obtient un rendez-vous en avril dernier. Verdict : la patiente doit être opérée « en priorité ».
Cette consultation m’a fait réaliser que j’ai perdu plus d’un an de qualité de vie en endurant des souffrances atroces parce que le [premier médecin orthopédiste] n’a jamais demandé de nouvelles radiographies en se limitant à parler de mon poids.
Extrait de la plainte de Mme Provencher
Un examen physique aurait aussi pu contribuer à obtenir le bon diagnostic, regrette-t-elle.
En outre, le pourcentage de gras autour de la hanche de la patiente ne compromettait en rien l’opération, lui a-t-on assuré, contrairement à ce qu’avait affirmé le premier expert consulté.
« Ce qui est révoltant, c’est l’inaction, le manque de compassion de ce médecin orthopédiste qui a refusé de soigner une patiente à cause de préjugés de grossophobie », laisse tomber son conjoint, Denis Boucher.
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PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE
Manon Provencher et Denis Boucher
Mme Provencher aimerait se faire opérer par le deuxième orthopédiste qu’elle a consulté – et en qui elle a confiance –, mais le délai de plusieurs mois pour une opération prioritaire dans le réseau public lui paraît « invivable ».
Le couple devra se tourner vers une clinique privée.
« Nous devrons gruger nos modestes économies de retraite pour payer une opération qui coûte environ 25 000 $ », s’indigne M. Boucher.
Si la consultation du 9 novembre 2022 avait été plus rigoureuse, « ma conjointe serait déjà opérée au public depuis plusieurs mois, tout en ayant respecté les délais d’attente de notre système de santé », dit-il.
Le CISSS de la Montérégie-Est a refusé de commenter le dossier pour des motifs de confidentialité, mais une porte-parole explique que chaque plainte donne lieu à une enquête d’un médecin examinateur. En plus de se soumettre à un code d’éthique et à un code de déontologie, les professionnels de la santé doivent aussi respecter une « politique sur l’équité, la diversité et l’inclusion qui vise à maintenir un milieu respectueux de la diversité et exempt de discrimination pour tous », écrit-elle dans un courriel. « Advenant une faute avérée en la matière, un médecin s’exposerait aux mêmes sanctions disciplinaires que tout autre employé. »
Au moment où nous écrivions ces lignes, Denis Boucher et Manon Provencher venaient tout juste d’apprendre que le médecin examinateur avait rejeté leur plainte, mais qu’il avait fait des suggestions à l’orthopédiste pour qu’il assure un meilleur suivi à l’avenir. Le couple fera appel de la décision.