La période pandémique et les mesures liées à la COVID-19 ont fragilisé les sans-abri : beaucoup de gens ont perdu leurs repères et se sont mis à consommer des drogues plus fortes, a résumé un travailleur de rue expérimenté durant l’enquête publique sur la mort de Raphaël Napa André, retrouvé sans vie dans une toilette chimique en 2021.

Ce qu’il faut savoir

Raphaël Napa André, un homme originaire de la communauté innue de Matimekush-Lac John, avait été retrouvé sans vie dans une toilette chimique en janvier 2021, une affaire qui avait secoué et ému la population.

Le Québec était en pleine pandémie de COVID-19 et un couvre-feu était en vigueur au moment de sa mort.

L’enquête publique du coroner visant à faire la lumière sur la mort de l’homme de 51 ans a débuté cette semaine au palais de justice de Longueuil.

« Moi, je trouve que c’est le chaos depuis ce temps-là », a laissé tomber Jonathan Lebire, coordonnateur au refuge PAQ 2, faisant référence à la pandémie.

Son témoignage a été entendu mardi dans le cadre de l’enquête publique de la coroner sur la mort de Raphaël Napa André, afin d’expliquer les circonstances de la mort de l’homme innu en situation d’itinérance, retrouvé sans vie dans une toilette chimique en janvier 2021.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

C’est dans cette toilette chimique à l’angle de la rue Milton et de l’avenue du Parc que Raphaël Napa André a été retrouvé sans vie.

« Beaucoup de personnes autochtones de la rue que je connais ont commencé à consommer du crack ou d’autres drogues dures au lieu de boire de l’alcool durant le couvre-feu », a expliqué M. Lebire à la coroner MStéphanie Gamache.

Selon le travailleur de rue, les revendeurs de drogues ont profité du fait que, pendant la pandémie, les dépanneurs fermaient plus tôt. Cela a fait en sorte que les consommateurs d’alcool dans la rue ont migré vers la drogue. Ce phénomène pourrait expliquer en partie la plus grande circulation de drogues dures dans la rue lors de l’après-pandémie.

Il a cependant précisé qu’il ne savait pas si c’était le cas de Raphaël Napa André, qu’il connaissait.

L’itinérance et la consommation de drogues sont beaucoup plus visibles depuis la pandémie, selon lui. Les consommateurs de substances vivant dans la rue s’étaient installés dans certains espaces inoccupés durant le confinement.

« Après la COVID, les gens consommaient [encore] dans la rue, dans les métros. »

Quand tu es en mode survie dans la rue, tu as ta routine. Tu sais où quêter, où aller manger. La COVID a tout bouleversé pour des gens qui voulaient survivre.

Jonathan Lebire

Le travailleur de rue a également mentionné la Prestation canadienne d’urgence (PCU), un programme d’aide gouvernemental mis en place durant la pandémie. « Quand la PCU est arrivée, les gens de la rue se sont mis ensemble pour faire des demandes PCU », a-t-il observé. Les personnes en situation d’itinérance ont donc amassé un peu d’argent. Ce qui, selon lui, pourrait expliquer pourquoi plusieurs se sont mis à consommer plus de drogues dures.

Refuge fermé

La Porte Ouverte (The Open Door) était le refuge de prédilection de Raphaël Napa André, qui vivait avec un problème d’alcool chronique. Il y avait ses habitudes, selon John Tessier. Le témoin était coordonnateur de l’endroit en 2021.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Raphaël Napa André

Le centre a dû fermer pendant trois semaines en raison d’une éclosion de COVID-19. Les usagers de la ressource ont été transférés à l’hôtel Chrome, mais plusieurs n’y ont pas mis le pied lors de ce hiatus.

À sa réouverture, la Santé publique avait donné des directives aux responsables de La Porte Ouverte : le refuge devait dorénavant fermer ses portes à 21 h au lieu d’être accessible toute la nuit comme à l’habitude. C’est pourquoi Raphaël Napa André a dû quitter les lieux le soir de sa mort. Les employés de La Porte Ouverte, à contrecœur, lui ont demandé de partir.

John Tessier avait toujours été contre cette directive, a-t-il affirmé durant son témoignage devant la coroner. « Il ne comprenait pas pourquoi il devait quitter, car avant, il pouvait rester dormir. Il pensait qu’on le mettait dehors. Mais ça n’avait rien à voir avec nous, on nous demandait de fermer. »

Je savais qu’il allait y avoir des conséquences. Curieusement, après que Raphaël est mort, on a eu le droit de rouvrir [la nuit].

John Tessier

Des intervenants du refuge ont appelé un taxi pour que Raphaël Napa André puisse passer la nuit dans une autre ressource. Il a toutefois refusé de prendre ce taxi, a affirmé John Tessier. L’Innu de 51 ans s’est donc réfugié dans une toilette chimique ce soir-là.

Son décès pourrait être attribué à une hypothermie, selon les témoignages des pathologistes judiciaires mardi. La victime avait également une forte concentration d’alcool dans le sang.

L’enquête publique présidée par MStéphanie Gamache se poursuit ce mercredi et devrait durer deux semaines. La coroner a mentionné à plusieurs reprises durant les audiences que l’exercice visait à éclaircir les circonstances de la mort de Raphaël Napa André. « Il ne s’agit pas d’une enquête sur l’itinérance dans sa globalité », avait-elle précisé aux témoins.