« Il faut leur faire comprendre qu’il y a autre chose que la rue. » D’émissions balados à un tournoi de soccer, à Saint-Léonard, des activités de toutes sortes sont organisées par les intervenants communautaires pour les jeunes du quartier. Des projets motivés par une volonté d’accompagnement, pour éviter que ces jeunes ne sombrent dans la criminalité.

À la Maison des jeunes de Saint-Léonard, la coordonnatrice Gabriela accueille les jeunes venus profiter d’un après-midi de fin de semaine pour jouer à la Playstation, au UNO, ou juste pour discuter avec leurs amis.

C’est ici qu’avaient l’habitude de se rendre deux jeunes du quartier âgés de 14 et 16 ans, morts deux semaines plus tôt après avoir tiré aux petites heures en direction de deux automobilistes, dans Rosemont–La Petite-Patrie1. Leur voiture avait été retrouvée encastrée dans un arbre. Plusieurs éléments portent à croire que l’un d’eux était affilié à un gang.

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Gabriela, coordonnatrice du projet I.Stl entre la Maison de jeunes de Saint-Léonard et l’organisme DOD Basketball

Un évènement qui témoigne d’une augmentation de la criminalité à laquelle le quartier de Saint-Léonard fait face depuis plusieurs années. À la suite de l’assassinat d’une adolescente de 15 ans, Meriem Boundaoui, en 2021, l’arrondissement avait annoncé la mise en place d’un plan de lutte contre la violence, notamment grâce au financement d’activités communautaires. La Presse s’est rendue à l’une d’elles.

« Venez comme vous êtes »

Ce cadre convivial dans lequel se retrouvent des jeunes âgés de 10 à 24 ans est le fruit du projet Évasion de l’organisme DOD Basketball. Il propose de nombreuses activités variées pour les jeunes de Saint-Léonard comme du soccer ou des ateliers de sensibilisation. « Il y a des activités organisées dans le quartier, mais il y a beaucoup de choses que les jeunes n’ont pas le droit d’y faire comme de parler comme ils le font. Ici, c’est plus : venez comme vous êtes », explique la coordonnatrice.

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« On est venus pour se faire couper les cheveux, mais aussi pour l’ambiance. Ça nous occupe », raconte un jeune rencontré par La Presse.

Installés dans leur fauteuil, trois jeunes s’efforcent de rester immobiles pendant que des barbiers s’affairent à réaliser dégradés, tresses, et autres coupes et coiffures en tout genre. Comme tous les dimanches, la salle prêtée par la Maison des jeunes de Saint-Léonard se mue en salon de barbier, une activité à laquelle Yani et Dany n’ont pas manqué de s’inscrire. « On est venus pour se faire couper les cheveux, mais aussi pour l’ambiance. Ça nous occupe », raconte le premier, âgé de 16 ans.

Faciliter les échanges

Déambulant de groupe en groupe, attrapant parfois une raquette de tennis de table, l’agent pivot Benjamin Dixon est l’un des piliers du projet.

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L’agent pivot Benjamin Dixon

Notre objectif, c’est de créer un lien de confiance avec eux pour qu’ils préfèrent passer leur temps avec nous plutôt que de traîner dehors à faire des mauvais coups.

L’agent pivot Benjamin Dixon

Afin de faciliter cet échange, DOD Basketball a son secret : des intervenants qui ressemblent aux jeunes. C’est ce dont se réjouit Yanis, 13 ans : « Ce sont de jeunes adultes, c’est plus facile de communiquer avec eux, ils nous ressemblent. Ils nous parlent de leur parcours et ils nous disent les erreurs à ne pas faire. »

Mazz tient un salon de barbier à Côte-des-Neiges ; c’est lui qui propose ses services au projet Évasion. Un partenariat motivé par une envie d’aider les jeunes de sa communauté. « C’est dur de trouver quelqu’un qui va les écouter, les aider, c’est pour ça que nous, on est là, pour leur montrer qu’il y a encore du beau monde », décrit-il.

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Mazz propose ses services au projet Évasion.

Pour ce Nord-Montréalais d’origine, l’image renvoyée est importante. « Je veux que le monde me connaisse pour ce que je suis capable de faire et qu’on me voie comme un exemple, pour se dire : “si lui, il est capable de le faire, alors moi aussi”. » Mazz ne cache d’ailleurs pas le fait que son travail a déjà inspiré de nombreux jeunes, avides de conseils.

Lever les tabous

Mais la mission du projet Évasion, c’est également d’aider les jeunes à s’exprimer sur des sujets souvent tabous au sein du foyer ou des groupes d’amis. C’est pour répondre à ce problème que le membre du Conseil jeunesse de Saint-Léonard Albano Souhail a eu une idée : l’enregistrement d’une balado.

On a voulu créer une plateforme pour la jeunesse, pour qu’elle puisse exprimer ses idées.

Albano Souhail, membre du Conseil jeunesse de Saint-Léonard

Plusieurs thèmes ont déjà été abordés durant ce projet en quatre épisodes, comme la réussite, les relations amicales, familiales et amoureuses, ou encore les pistes de solution pour sortir de la délinquance. « On voulait vraiment choisir des thèmes qui sont importants pour les jeunes, quelque chose dont ils parlent entre eux », détaille Albano Souhail. Pour chaque épisode, un membre du Conseil jeunesse se charge de l’animation, et un intervenant d’un organisme de Saint-Léonard vient échanger avec les jeunes.

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Partie de baby-foot à la Maison des jeunes de Saint-Léonard

En ce dimanche après-midi, c’est l’entrepreneuriat et le rapport à l’argent qui seront au cœur de l’échange, un épisode auquel Yanis est impatient de participer.

Des risques réels

Walner est intervenant pour DOD Basketball, mais également coordinateur des travaux communautaires effectués par les jeunes du quartier ; deux casquettes très complémentaires selon lui. « On crée des liens avec les jeunes qui font des heures de travaux communautaires avec nous. On les pousse à venir aux activités. Parfois, on arrive même à leur trouver un emploi. »

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Walner, intervenant pour DOD Basketball

Pourtant, le dénouement n’est pas toujours si heureux, les dernières semaines ne sauraient mieux le rappeler. « Ces deux jeunes [qui sont morts], on les connaissait bien, ils venaient à nos activités, témoigne-t-il. On sait qu’ils étaient intelligents. On a essayé de parler avec eux, de discuter de tout et de rien, mais c’est sûr qu’il y a certaines choses qu’on a pu manquer. »

« Je trouve ça triste parce que [l’un des jeunes], j’étais censé le voir jeudi, le jour où il est décédé, mais il n’est pas venu. Le lendemain, j’ai su ce qu’il s’était passé. »

Pour beaucoup, la délinquance est également un moyen de fuir le foyer, où le dialogue est parfois rompu avec les parents. Avec son projet, c’est un lieu d’évasion, sécurisé et attentif, que DOD Basketball se donne pour mission d’offrir aux jeunes.

1. Lisez « Coups de feu à Montréal : les deux adolescents suspects pourraient avoir agi dans le cadre d’une initiation »