(Saint-Pierre-de-l’Île-d’Orléans) Le gouvernement Legault admet que la facture de 2,7 milliards pour le nouveau pont de l’île d’Orléans « peut faire sursauter », mais juge que de remplacer le vieux lien était essentiel pour la sécurité des insulaires, mais aussi pour continuer d’offrir l’accès à ce « symbole identitaire » du Québec.

« C’est un chiffre qui peut faire sursauter », a admis mardi matin la ministre des Transports et de la mobilité durable (MTMD), Geneviève Guilbault. « Pour nous, pour des raisons de sécurité et de développement économique, on n’avait pas le choix d’aller de l’avant. Mais c’est sûr que c’est cher. »

La ministre Guilbault a annoncé en conférence de presse que son gouvernement va de l’avant avec la construction du nouveau pont de 2,1 km. Le plus bas soumissionnaire, le consortium composé des entreprises Dragados Canada et EBC, a remporté la mise. Le nouveau pont coûtera 1,86 milliard, à cela viendront s’ajouter des aménagements routiers sur les deux rives et la déconstruction du vieux pont pour atteindre les 2,7 milliards.

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La ministre Guilbault a annoncé en conférence de presse que son gouvernement va de l’avant avec la construction du nouveau pont de 2,1 km.

Ce chiffre a fait sourciller bien des élus dans le caucus caquiste. « On confirme que le coût final est plus élevé que les estimations », a concédé Mme Guilbault.

Elle n’a toutefois pas voulu dire à combien les fonctionnaires de son ministère avaient estimé la reconstruction du pont avant l’ouverture des enveloppes. Le remplacement du pont de 1935 qui relie la Rive-Nord à l’île de 7000 habitants avait été estimé à « quelques centaines de millions » en 2020 par l’ancien ministre des Transports, François Bonnardel.

Mais en définitive, les élus du gouvernement ont décidé d’aller de l’avant pour des raisons de sécurité, mais aussi « parce que c’est un symbole, parce que c’est identitaire pour nous au Québec l’île d’Orléans », selon Mme Guilbault.

« Les gens de la grande région de Québec… On va tous aux pommes, on va tous sur l’île l’été, acheter du vin… Mais aussi de l’extérieur de la région de Québec, incluant des touristes internationaux », a ajouté la ministre.

Un nouvel appel d’offres sera réalisé pour la déconstruction du pont actuel, laquelle sera complétée d’ici 2033. Le nouveau pont doit ouvrir en 2028.

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L’annonce avait attiré tout ce qu’il y a d’élus et de notables de l’île dans la belle bâtisse de l’Espace patrimonial Félix-Leclerc. « Si on recule il y a 90 ans, mon père me disait toujours que le pont coûtait plus cher que ce que l’île valait ! Et voyez aujourd’hui comme la valeur foncière sur l’île s’est développée », s’est souvenu Jean Lapointe, maire de Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans. L’homme se « réjouit » que ce vieux dossier soit enfin réglé.

« Ça fait 22 ans que moi je milite ! », a lâché François Blouin, producteur horticole et président de l’UPA de l’île d’Orléans. « Là on a une annonce. Les gens vont dire que ça coûte cher pour 7000 habitants. Mais dans les faits, ce sont des centaines de millions en nourriture qui sortent vers les différentes villes du Québec. »

L’agriculteur rappelle que depuis quatre ans, des limites de charge s’appliquent sur le vieux pont. « On est toujours en limite de charge comme si on était en dégel printanier. Donc ça nous coûte entre 20 et 25 % de plus en transports pour exporter nos produits lourds comme la pomme de terre, la céréale, ces choses-là, note M. Blouin. Les bétonnières qui entrent à l’île pour faire des constructions ne peuvent pas charger à plus de 75 %. Donc tout nous coûte plus cher. »

Un projet « très complexe »

Le Ministère explique la facture élevée du projet par sa complexité. La travée centrale doit être longue de 430 mètres, pour accommoder le transport maritime et une frayère à barets. Il faudra aussi installer 58 pieux « à des capacités jamais vues au Québec », soit 80 mètres pour atteindre le roc dans le fond du fleuve Saint-Laurent.

Québec a aussi exigé au consortium retenu qu’il transporte les matériaux par barges plutôt que par le vieux pont. Le pont actuel est tellement vieux et son état jugé si préoccupant que les fonctionnaires s’inquiétaient de l’effet des 17 000 passages de camions nécessaires pour le chantier.

Reste que la facture est salée. C’est davantage que le pont de l’île aux Tourtes à Montréal, qui doit coûter 2,3 milliards, soit 65 % de plus que prévu au départ. Le pont orléanais reçoit toutefois beaucoup moins de voitures, soit 11 000 par jour, selon les plus récentes données du gouvernement, contre 81 000 pour celui de l’île aux Tourtes.

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Le pont actuel est tellement vieux et son état jugé si préoccupant que les fonctionnaires s’inquiétaient de l’effet des 17 000 passages de camions nécessaires pour le chantier.

« On ne peut pas comparer ce pont avec des ponts de Montréal, parce qu’ici il y a beaucoup de défis pour les ingénieurs, des défis géotechniques, environnementaux, de logistique, a fait valoir la ministre Guilbault. C’est un projet très complexe, depuis le début. »

Rien de prévu pour le troisième lien

Le pont aura deux voies, des accotements ainsi que des pistes multifonctionnelles larges de trois mètres, des deux côtés. Québec a donc choisi de maintenir les deux voies actuelles.

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La coupe du futur pont permet de voir l’ajout d’accotements et les pistes multifonctionnelles de chaque côté

Le nouveau pont n’a donc pas été conçu pour accommoder un éventuel troisième lien autoroutier entre les deux rives. Le premier ministre François Legault avait déclaré en 2018 que le passage d’un éventuel troisième lien par l’île était envisagé, pour se raccorder sur le nouveau pont.

Cette idée avait été abandonnée par la CAQ en 2019 qui avait alors décidé d’y aller d’un tunnel « de centre-ville à centre-ville » sans passer par l’île. Les fonctionnaires du MTMD n’ont donc pas pris en compte une hausse de débit sur le nouveau pont de l’île au moment de lancer le processus d’appel d’offres.

Rappelons que la CAQ a ensuite abandonné le projet autoroutier, puis l’a ressuscité. CDPQ-Infra a depuis reçu le mandat d’analyser le projet. Il doit rendre sa conclusion en juin.

Le député solidaire de Taschereau, Étienne Grandmont, estime que la hausse faramineuse du coût du pont de l’île indique « qu’un 3lien autoroutier risque d’être un véritable gouffre financier ».