La philanthrope québécoise Louise Blouin pointe les stratégies « prédatrices » d’un prêteur privé pour expliquer la liquidation de La Dune, son somptueux domaine résidentiel des Hamptons, dans le cadre du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. « Tout est réglé », assure-t-elle néanmoins à La Presse.

Mme Blouin a fait l’objet d’un portrait relatant son « ascension » et sa « chute » le 21 février dernier dans le New York Times (NYT). La principale intéressée conteste le ton et les termes du reportage, qui a été traduit en français et publié par La Presse trois jours plus tard. « C’est un soap opera, un Netflix », dit-elle.

La femme d’affaires a fait parvenir à différents médias une version annotée de l’article du NYT, en plus de joindre une vingtaine de documents à l’appui. C’est son équipe qui a sollicité une entrevue avec La Presse afin de « rétablir les faits » et de mettre en garde contre les pièges de l’immobilier.

La propriété au cœur de l’affaire, deux villas et un immense terrain totalisant 1,6 hectare sur Gin Lane à Southampton, dans l’État de New York, a été placée sous la protection de la loi américaine sur les faillites par deux sociétés à responsabilité limitée dirigées par Mme Blouin.

PHOTO TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

La femme d’affaires Louise Blouin

Jointe jeudi dernier en Suisse, l’un des pays où elle réside, Mme Blouin a assuré qu’elle n’avait pas « tout perdu », comme l’écrivait le NYT. « La dette est payée, il n’y a aucune faillite et on se sort du chapitre 11 avec un créditeur qui a causé énormément de problèmes et qui voulait toucher jusqu’à 200 % d’intérêts. C’est complètement illégal », dit-elle.

L’entrepreneure montre du doigt le prêteur Bay Point Advisors pour expliquer ses ennuis financiers, qui ont culminé avec la mise aux enchères de La Dune, adjugée par Sotheby’s pour 89 millions – incluant quelque 10 millions en frais de courtage – en janvier dernier. Le prix de vente s’est avéré bien en deçà des évaluations, autour de 150 millions, et de la somme demandée en 2016, soit 140 millions.

En 2018, Mme Blouin a contracté un prêt de 26 millions à haut taux d’intérêt auprès de JGB Management – qu’elle accuse aussi d’avoir eu recours à un « stratagème frauduleux » – dans le but de rembourser un prêt de HSBC et pour rafraîchir La Dune afin de la vendre. Bay Point a repris la dette en 2022, en plus d’assumer la dette résiduelle d’un prêt consenti par Morgan Stanley en 2011.

Avant l’intervention de Bay Point, la dette atteignait « 37 millions sur un domaine qui en valait presque 150 », fait valoir la Québécoise. L’entrepreneure estime avoir perdu « près de 50 millions en 15 mois en raison d’une conduite prédatrice » qui vise à « prêter pour posséder » (loan to own).

Un prédateur fait deux choses bien. Il vous prête de l’argent et il vous vole du temps afin que vous soyez en défaut de paiement. Il utilise tous les moyens.

Louise Blouin

Le prix de vente de 89 millions de La Dune, écrivait le NYT, laisse Louise Blouin endettée, puisqu’il ne couvre pas la valeur des sommes dues au créancier. « C’est inexact », rétorque-t-elle « J’ai acheté Southampton à 11 millions et j’ai mis 10 millions. On l’a vendue 89 millions. Toutes les dettes sont payées. On est en train de contester un certain montant parce que le créditeur charge trop. Le juge va s’occuper de lui. J’ai utilisé le chapitre 11 pour me protéger de son comportement. »

Mme Blouin a toujours bon espoir que la vente du manoir de 19 chambres et du terrain des Hamptons lui rapporte « des dizaines de millions, jusqu’à 25 ».

Le prêteur immobilier Bay Point Advisors, situé à Atlanta, n’avait pas répondu aux questions de La Presse au moment où nous écrivions ces lignes.

Des gains de « 400 millions »

La philanthrope trouve « aberrant » qu’il soit question de sa « chute » dans l’article du NYT, alors qu’elle qualifie son succès d’« extraordinaire » et son parcours de quasi « sans fautes », tant dans le domaine des arts qu’en affaires.

Elle a récemment lancé un fonds immobilier, Atlas, qui détient des intérêts aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France, selon un catalogue qu’elle nous a fourni. Des investissements au Québec sont dans les cartons.

J’ai fait beaucoup d’immobilier et j’ai des profitabilités très intéressantes. J’ai fait à peu près 400 millions sur quelques années.

Louise Blouin

Mais les médias, dénonce Louise Blouin, ont toujours préféré parler de ses chaussures plutôt que de sa carrière. « Est-ce que ce serait différent si j’étais un homme ? Oui. Les médias parlent plus de mon physique que de ma substance. »

Au fil de l’entrevue, Mme Blouin déplore la couverture à son endroit autour des Panama Papers – « c’est une structure absolument légale » –, des retards de paiement au sein de Louise Blouin Media – « j’ai été victime d’une fraude très importante à New York dans les années 2010 » –, de ses soucis immobiliers à Mont-Tremblant – « l’OACIQ [Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec] a jugé que les courtiers n’avaient pas respecté la déontologie » – ou encore de ses ennuis avec le fisc américain : « On est en cour. Ils disent qu’ils n’ont pas reçu une somme d’argent, et nous, on dit qu’on l’a envoyée. On est en train de la chercher et je pense qu’on l’a trouvée. C’est une personne qui devait transférer l’argent et qui l’a gardé. »

Ces « quelques obstacles, cinq ou six en 40 ans, ce n’est rien », glisse-t-elle. « J’ai eu une chance extraordinaire. »

Il en sera question dans un livre en cours d’écriture, Obsession. « Ce sera la consolidation de mon travail dans l’art et de mon expérience en tant qu’entrepreneure », dit-elle.

Lisez le dossier du New York Times « La spectaculaire faillite de Louise Blouin »

Qui est Louise Blouin ?

Née le 15 octobre 1958 à Dorval

Fait l’acquisition du magazine de petites annonces Auto Hebdo en 1987 au côté de son ex-mari, John MacBain. Le couple met sur pied la société Trader Classified Media, qui comptera quelque 7000 employés.

Vend ses actions en 2000 et touche environ 200 millions.

Crée en 2003 Louise Blouin Media (LBM), éditeur de magazines d’art et de sites web.

Se tourne vers la philanthropie en 2005 en créant la Fondation Louise Blouin.

A donné autour de 140 millions aux secteurs de la culture et de la science de 2003 à 2018, selon sa biographie.

Gère un fonds immobilier et est toujours à la tête du média Blouin Artinfo, modeste successeur de LBM.