Être victime de violence est traumatisant. Mais l’impact d’être témoin de violence est beaucoup moins étudié. Des chercheurs américains montrent que cela perturbe la réponse au stress chez les jeunes, mais que des parents attentifs tempèrent cet effet.

Les quartiers pauvres et violents sont particulièrement mauvais pour la santé, et ce, encore plus que les quartiers pauvres et paisibles, explique Luke Hyde, psychologue à l’Université du Michigan, qui est l’auteur principal de l’étude publiée en février dans la revue Developmental Psychology. « Mais nous avons été particulièrement surpris de l’impact protecteur des parents attentifs [nurturing] », précise le chercheur.

Chez les jeunes dont les parents étaient attentifs (par exemple qui parlent souvent avec leur enfant et savent où il se trouve), la violence indirecte n’avait absolument aucun effet sur la réponse au stress. « Ils effacent complètement l’effet de la violence indirecte », dit M. Hyde.

Ces résultats sont particulièrement intéressants pour Carolyn Côté-Lussier, une criminologue de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) qui travaille sur une échelle similaire d’exposition à la violence indirecte. « On estime qu’environ les deux tiers des crimes ne sont pas rapportés à la police, explique Mme Côté-Lussier. Alors on ne peut pas utiliser les cartes des évènements policiers pour mesurer la violence indirecte. On veut mesurer le bruit de fond de la violence. Ça inclut le vandalisme, les graffitis. C’est une mesure de la cohésion sociale : dans quelle mesure une personne a l’impression que les gens qui l’entourent dans son quartier vont pouvoir l’aider ou, au contraire, être une menace. Est-ce que tu vas aller jouer dans le parc, est-ce que tu vas rentrer en marchant chez toi ? Ne pas se sentir en sécurité dans son quartier peut avoir des impacts importants sur la santé mentale et physique. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’INRS

Carolyn Côté-Lussier, criminologue de l’INRS

Avec son collègue Paul Rodrigues, Mme Côté-Lussier a récemment présenté des résultats préliminaires sur une échelle de violence indirecte, pour différents quartiers montréalais. Une mesure de « désordre social » frappait davantage le nord et le sud du centre-est de Montréal. Une autre, mesurant l’« insécurité », touchait plus généralement l’est de l’île. La probabilité d'être exposée à quelqu'un qui rapportait de l’insécurité dépassait 50 % dans certains quartiers, notamment Rivière-des-Prairies. Comme ces données n’ont pas encore été publiées dans une revue avec comité de révision, les chercheurs montréalais ne peuvent pas encore les dévoiler intégralement.

L’échelle des chercheurs de l’INRS est semblable à celle qu’utilisent les chercheurs américains. Elle est basée sur deux questions d’une enquête de Statistique Canada où les participants rapportent s’ils sont témoins d’incivilités (bruit, déchets, vandalismes, ébriété, drogue) dans leur quartier, et s’ils s’y sentent en sécurité. L’échelle utilisée par M. Hyde demande si les participants ont déjà vu quelqu’un pointer une arme à feu sur quelqu’un d’autre, ou quelqu’un se faire tabasser, entre autres.

Violence scolaire

« Jusqu’à maintenant, au Québec, on n’avait que des mesures d’exposition à la violence indirecte dans les écoles, et son incidence sur la performance scolaire », dit Mme Côté-Lussier. Une étude qu’elle a publiée en 2016 dans le Journal of Adolescent Health notait que les élèves de 13 ans rapportant que leur école n’était pas sûre participaient moins en classe, d’après le témoignage de leur professeur.

Luke Hyde note aussi que les personnes témoins de violence indirecte réagissent différemment au stress. Quand la partie du cerveau appelée amygdale réagit plus fortement à des stimulus stressants, comme des images de colère, cela signifie que la réponse au stress est altérée. « Une réaction trop grande de l’amygdale est liée à des problèmes de santé mentale et aussi à des problèmes cardiaques, car un stress chronique cause de l’inflammation », dit M. Hyde.

Jessica Deslauriers, une chercheuse de l’Université Laval qui étudie l’inflammation liée au stress et aux traumatismes, confirme que ces résultats sont « non négligeables ». « Chez les gens qui ont eu des traumatismes, la réponse de l’amygdale au stress est plus importante, dit Mme Deslauriers. Mais si l’amygdale demeure dans cet état de réactivité plus importante trop souvent, ça mène à des problèmes de stress chronique, qui ont des conséquences biologiques sur le cerveau et le corps. »

Soutenir les parents

L’impact des parents attentifs est d’autant plus marquant qu’il s’applique uniquement à la violence indirecte. « Vivre dans un quartier pauvre n’est pas moins dommageable pour ce qui est de la réponse biologique au stress quand on a des parents attentifs », dit M. Hyde.

« Ce facteur protecteur parental est très rassurant, explique Mme Côté-Lussier. Les enfants savent qu’ils peuvent parler à leurs parents. En ce moment, j’entends des intervenants parler de parents aux prises avec des problèmes d’inflation et de logement. Ça peut être déstabilisant et empêcher les parents de soutenir leurs enfants. Dans les quartiers défavorisés avec beaucoup de violence ambiante, il faudrait essayer de soutenir les parents. »

Avec la collaboration de Daniel Renaud, La Presse

Une version précédente de cet article orthographiait mal le nom de Carolyn Côté-Lussier, et indiquait que la proportion de la population qui rapportait de l’insécurité dépassait 50 % dans certains quartiers montréalais.

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