Shorts blancs, maillots serrés : en pleine puberté, il arrive que de jeunes athlètes doivent porter des uniformes sportifs mal adaptés, à tel point que certaines choisissent d’arrêter de jouer plutôt que d’exposer un peu trop leur corps en transformation. Qui décide de ce que portent les jeunes femmes ?

La scène se passe dans un tournoi de volleyball. Lors des arrêts de match, certaines athlètes adolescentes tirent leurs cuissards vers le bas, semblant vouloir les allonger.

Quand on décrit cette scène à Sylvie Béliveau, directrice de l’équité des genres en sport chez Égale Action, c’est l’entraîneuse en elle qui réagit.

« Le temps que tu replaces ton équipement, tu n’es pas attentionnée à ton sport. Le temps que tu replaces tes cheveux, c’est du temps passé ailleurs », dit celle qui a dirigé l’équipe canadienne de soccer à la Coupe du monde féminine en 1995. « Ça parle d’un certain inconfort », ajoute-t-elle.

Des athlètes professionnelles se sont levées ces dernières années pour dénoncer les uniformes imposés par leurs fédérations. En 2021, par exemple, les joueuses de l’équipe norvégienne de handball de plage ont été sanctionnées pour avoir refusé de jouer en bikini. Elles ont réussi à faire changer le règlement, qui stipule néanmoins que les shorts des joueuses doivent être « courts et serrés », alors que ceux des hommes ne doivent pas être « trop amples ».

  • En 2021, les joueuses de l’équipe norvégienne de handball de plage ont été sanctionnées pour avoir refusé de jouer en bikini.

    PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES, FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION NORVÉGIENNE DE HANDBALL

    En 2021, les joueuses de l’équipe norvégienne de handball de plage ont été sanctionnées pour avoir refusé de jouer en bikini.

  • Les équipes masculine et féminine de handball de plage de Norvège en 2019

    PHOTO ARCHIVES THE NEW YORK TIMES, FOURNIE PAR LA FÉDÉRATION NORVÉGIENNE DE HANDBALL

    Les équipes masculine et féminine de handball de plage de Norvège en 2019

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Au-delà des revendications des athlètes qui font les manchettes sporadiquement, il faut s’attarder aux sportives qui pratiquent leur sport en amatrices, observe Mme Béliveau. « Si la tenue vestimentaire fait la différence, il faut s’en préoccuper », dit-elle.

Professeure au département d’éducation physique de l’Université Laval, Guylaine Demers explique qu’il y a des décisions qui sont prises sans mauvaises intentions, mais sans trop y réfléchir non plus.

Des clubs vont avoir des uniformes blancs de haut en bas. Quand on coache des adolescentes qui commencent à être menstruées, des shorts blancs, c’est un cauchemar. Il y en a qui vont préférer ne pas jouer.

Guylaine Demers, professeure du département d’éducation physique de l’Université Laval

C’est sans compter sur les uniformes dits « unisexes ». « Unisexe, ça veut dire “gars”. On a des athlètes féminines qui se ramassent avec des camisoles, par exemple en basket : si tu as un peu de poitrine, oublie ça, c’est complètement serré. Les shorts, ça ne correspond pas aux hanches des filles. C’est horrible », poursuit la professeure de l’Université Laval.

Or, les uniformes, « ce n’est pas banal » dans le sport, où on s’expose au public. « Quand tu commences à avoir des seins, des hanches, tu commences à être menstruée, ton image corporelle n’est pas à son sommet », rappelle Mme Demers.

Parfois libres, parfois pas

Au cégep de Victoriaville, le short porté par l’équipe féminine de rugby changera à la prochaine saison.

« Les filles disaient : “c’est trop court”. On va allonger les shorts cette année, elles seront plus à l’aise », dit Caroline Charland, conseillère à la vie étudiante de ce cégep.

PHOTO FOURNIE PAR LE CÉGEP DE VICTORIAVILLE

Le short porté par l’équipe féminine de rugby du cégep de Victoriaville (en violet), jugé trop court par les joueuses, changera à la prochaine saison.

Dans l’un de ses premiers emplois, « il y a très longtemps », elle a fait changer l’équipement de cheerleading pour que des jeunes filles du secondaire ne soient pas obligées de porter de chandail court.

« Je trouvais que ce n’était pas adéquat de demander à des jeunes filles de cet âge-là de montrer leur ventre », dit-elle.

Qui décide pour les jeunes femmes qui pratiquent des sports organisés à l’école ?

« Souvent, ça part de la fédération internationale, après nationale, après provinciale, qui va dire : voici les paramètres de l’uniforme », dit Stéphane Boudreau, directeur général adjoint du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ). Il ajoute que son organisation n’a « absolument rien à voir là-dedans ».

Dans le cas du volleyball, un sport de plus en plus prisé chez les jeunes du secondaire, il s’avère que les règles sont souples.

« Notre clientèle, c’est beaucoup des jeunes de 14-18 ans, on n’impose rien », dit Guillaume Proulx Goulet, directeur général de Volleyball Québec. En volleyball de plage, le bikini n’est pas obligatoire.

Guillaume Proulx Goulet cite l’exemple des joueuses norvégiennes et dit que lorsqu’il est entré en poste, il a voulu s’assurer qu’une telle situation ne se produise pas.

Il observe néanmoins qu’aux derniers Jeux du Québec, des jeunes de 15 ou 16 ans avaient revêtu un bikini pour jouer.

« On pourrait les empêcher de le porter, mais elles sont libres de porter ce qu’elles veulent », dit Guillaume Proulx Goulet.

« Il faut les écouter »

Maintenant à la tête de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec, Christian Leclair a aussi été responsable des équipes sportives dans une école secondaire.

Le short était la norme dans l’uniforme de ses équipes, dit-il, mais il a vu la mode changer au fil des années dans certains sports.

À un moment donné, la mode est venue vers le cuissard. Est-ce que c’est l’entraîneur qui exigeait [le cuissard], ou la mode ? Dans les tournois scolaires, elles étaient toutes en cuissard. En beachvolley, il y en a qui sont en bikini. C’est critiqué, ce ne sont pas toutes les filles qui aiment ça.

Christian Leclair, directeur général de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec

Comme enseignant d’éducation physique, voit-il une raison qui justifierait qu’on doive porter des vêtements serrés pour certains sports ?

« Le seul élément qu’on pourrait évoquer, c’est la liberté de mouvement, la légèreté du tissu », dit M. Leclair. Une paire de shorts mi-cuisse, comme les joggeurs en revêtent, ferait très bien l’affaire, ajoute-t-il.

Peu importe les modes, il faut donner le choix aux jeunes et faire la distinction entre les athlètes internationales et les adolescentes, plus vulnérables, dit aussi Sylvie Béliveau.

« Je pense que la vigilance des responsables, c’est de s’assurer qu’on ne s’en va pas vers une hypersexualisation de la femme, parce que c’est le danger qui nous guette. La plupart du temps, les adolescentes vont nous le dire d’entrée de jeu, quand elles ne sont pas à l’aise de pratiquer leur sport quand c’est trop serré, ou que ça les expose trop », dit Mme Béliveau.

« Mais il faut les écouter », conclut-elle.