Un patron a demandé mardi, dans la salle de rédaction de La Presse, cette question que tout le monde se pose au sujet des individus qui s’en prennent violemment aux vendeurs de stupéfiants des motards dans la région de Québec.

Depuis que les évènements violents ont commencé dans la région de la Capitale-Nationale, tout le monde s’entend pour dire que des attaques contre les Hells Angels, l’organisation criminelle la plus puissante au Québec, et même au Canada, auraient été impensables il y a deux ans à peine.

Depuis quelques jours, on entend même dire que les motards ne répliquent pas et qu’ils ont peur.

Mais il allait peut-être de soi que l’organisation criminelle, qui contrôle 85 % du territoire québécois, selon la Sûreté du Québec, serait la première organisation à goûter à la médecine de la nouvelle génération des gangs de rue et d’autres individus du crime désorganisé.

Les autres organisations criminelles établies, comme la mafia, ne sont pas à l’abri non plus.

Couteau à double tranchant

Les Hells Angels ont connu une guerre sanglante durant les années 1990 et ne sont probablement pas pressés de retourner sur les mêmes sentiers.

Ils se sont raffinés, sont devenus pour plusieurs des « hommes d’affaires » qui ne s’impliquent plus directement dans les activités criminelles, ils louent leurs territoires, perçoivent des redevances auprès des trafiquants auxquels ils ont donné leur bénédiction et ils obligent ceux-ci à s’approvisionner en stupéfiants auprès d’eux.

Bref, ils se sont embourgeoisés, un peu comme les membres des familles mafieuses établies de la région métropolitaine qui, pour la plupart, ne se salissent plus les mains et n’ont plus autant de personnel pour effectuer les basses besognes qu’ils en avaient à portée de main à une autre époque.

Donc, depuis déjà plusieurs années, les organisations criminelles ont recours aux gangs de rue pour faire le sale boulot.

Ce fut un couteau à deux tranchants, car par le fait même, les organisations criminelles ont démontré leurs faiblesses et, simultanément, ont fait comprendre aux gangs de rue qu’ils étaient devenus un rouage important dans la mosaïque du crime organisé au Québec.

Les criminels influents ont probablement vu venir ce qui se passe à Québec. En 2020, lorsque les enquêteurs de la Stratégie québécoise de lutte contre la violence armée, CENTAURE, en ont rencontrés certains pour leur demander d’interférer auprès des plus jeunes pour que cessent les décharges d’armes à feu qui étaient en forte croissance à Montréal, ils leur ont répondu que cela ne servirait à rien de s’en mêler, que les jeunes ne les écouteraient pas.

De nos jours, les prisons seraient contrôlées par les membres de gangs, qui n’ont plus de respect pour les membres des organisations criminelles établies, nous disent des sources des milieux criminel et correctionnel.

Ils profiteraient de leur incarcération pour se faire des contacts et des alliés, pour le jour où ils sortiront.

Des trafiquants autosuffisants

Dans la grande région de la Capitale-Nationale, les Hells Angels ont peut-être été les artisans de leur propre malheur en permettant à des trafiquants indépendants, qui sont leurs ennemis aujourd’hui, de faire de l’argent, de bâtir leur propre organisation et de contrôler la rue. Bref, ils leur ont donné les moyens et la force de se rebeller.

Alors que le kilogramme de cocaïne se négociait à environ 45 000 $ avant la pandémie de la COVID-19 en 2020, il se vend actuellement environ 22 000 $ au Québec, preuve que cette drogue entre massivement au Québec et au Canada.

Des enquêtes policières réalisées ces dernières années ont démontré que de plus en plus de trafiquants indépendants ont des contacts dans les pays fournisseurs et s’improvisent importateurs de cocaïne.

D’autres ont démontré l’existence d’un corridor entre Toronto et Montréal, et que des trafiquants s’approvisionnent directement dans la Ville Reine – où le kilogramme coûte moins cher que celui vendu par les Hells Angels – pour ensuite écouler la drogue au Québec.

Ils sont maintenant autosuffisants. Pourquoi feraient-ils encore des affaires avec les motards et leur verseraient-ils une taxe sur chaque kilogramme de cocaïne ?

Un problème de société

Dans la région de Québec s’opposent une organisation criminelle structurée, et peut-être plus lente à mettre en marche, et des individus désorganisés, imprévisibles, et peut-être plus difficiles à saisir. Policiers, criminels et observateurs se demandent si et quand les Hells Angels vont répliquer.

Mais qu’on ne s’y méprenne pas, ce n’est pas seulement le problème des Hells Angels, c’est celui de toute la société.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à drenaud@lapresse.ca

L’histoire jusqu’ici

Depuis l’an dernier, un conflit violent oppose des trafiquants indépendants liés à des gangs de rue aux Hells Angels et à leurs clubs sympathisants dans les régions de Québec et de Bellechasse.

Ce conflit a été marqué par des incendies criminels, des coups de feu sur des bâtiments, des passages à tabac, des séquestrations et des tortures, et même des meurtres.

En fin de semaine, à Saint-Malachie, une affaire d’enlèvement et de séquestration a fait un mort et trois blessés.

Des vidéos ont commencé à circuler dans lesquelles on voit des trafiquants des Hells Angels se faire battre et torturer par des individus à la solde des trafiquants indépendants.