Le sort d’un ancien couvent et joyau patrimonial de Sutton, en Estrie, déchire la communauté

D’un côté, on veut le mettre à la disposition de femmes en difficulté. De l’autre, on souhaite le transformer en centre communautaire. Les intentions sont nobles, mais l’avenir du Foyer de Charité, un héritage d’une des plus anciennes familles de Sutton, en Estrie, divise sur fond de crise du logement.

Vingt-deux acres de terrain, une érablière, une chapelle construite à la main en pierre des champs, huit bâtiments dont l’ancien couvent : quatre étages entièrement meublés et dotés d’une chapelle.

Entrer dans les bâtiments du Foyer de Charité, c’est remonter dans le temps. Construit en 1911 sur un terrain offert gracieusement par Eugène Dyer, notable bien connu de la région – sauvé in extremis d’une grave maladie par un miracle du frère André, selon la légende locale –, le domaine a logé des religieuses jusqu’en 1971.

  • Les étages supérieurs de l’ancien couvent sont divisés en chambres individuelles, toutes meublées, et dont certaines des portes sont à peine assez larges pour les épaules d’un homme.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Les étages supérieurs de l’ancien couvent sont divisés en chambres individuelles, toutes meublées, et dont certaines des portes sont à peine assez larges pour les épaules d’un homme.

  • La bibliothèque du domaine abrite encore des centaines de livres, surtout des écrits religieux. « Et il en reste pas mal moins. On en a encore sorti un dix-roues plein l’autre jour », témoigne le président de l’OBNL responsable de la gestion du site, Serge Poirier.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    La bibliothèque du domaine abrite encore des centaines de livres, surtout des écrits religieux. « Et il en reste pas mal moins. On en a encore sorti un dix-roues plein l’autre jour », témoigne le président de l’OBNL responsable de la gestion du site, Serge Poirier.

  • Quelques chalets répartis sur le domaine comptent eux aussi plusieurs chambres individuelles comme celle-ci, chauffées par un foyer au bois en cette froide journée de décembre.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Quelques chalets répartis sur le domaine comptent eux aussi plusieurs chambres individuelles comme celle-ci, chauffées par un foyer au bois en cette froide journée de décembre.

  • Au deuxième étage du couvent, une chapelle d’une centaine de places accueille aussi une sculpture en bois du Christ grandeur nature.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Au deuxième étage du couvent, une chapelle d’une centaine de places accueille aussi une sculpture en bois du Christ grandeur nature.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

L’atmosphère paisible et silencieuse de l’endroit, qui servait à des retraites fermées jusqu’à la pandémie, tranche toutefois avec le différend qui a cours dans la petite ville d’Estrie depuis juin.

Soit depuis que les Foyers de Charité, le mouvement religieux établi en France qui a récupéré le domaine en 1971, ont choisi de dissoudre l’organisme à but non lucratif (OBNL), la Villa Châteauneuf inc., mis sur pied à l’époque pour gérer le domaine de ce côté-ci de l’océan.

Dans une lettre partie de France, le délégué pontifical pour les Foyers de Charité, Mgr  Michel Dubost, annonçait aux administrateurs de la Villa à Sutton que, devant le constat qu’ils n’avaient « plus les moyens humains » de mettre en œuvre leur mission, la « décision difficile » a été prise de dissoudre l’OBNL.

Tous les administrateurs sont partis dans les mois suivants. Tous ? Non. Convaincu que le Foyer de Charité de Sutton doit poursuivre sa mission d’aider les femmes, comme au temps où il était un couvent, son président, Serge Poirier, est resté en selle.

La démarche voûtée, il explique, lors d’une marche dans l’érablière, sa préférence de voir le domaine être cédé au Chaînon, un organisme venant en aide aux femmes en difficulté établi à Montréal.

Persuadé qu’il s’agit là de l’entité « la plus solide » pour reprendre les rênes du Foyer de Charité, son vice-président, Victor Marchand, plaide à ses côtés que l’endroit est parfaitement adapté pour héberger des femmes victimes de violence conjugale cherchant à fuir la ville.

« Les lits, les taies d’oreiller sont là, les chambres sont prêtes à recevoir des gens. Demain matin, le Chaînon, ils seraient là », martèle-t-il.

Un nouveau centre communautaire

Mais la Ville de Sutton ne voit pas les choses ainsi. Informé des démarches de la Villa Châteauneuf, le conseil municipal a récemment adopté un avis de réserve afin d’empêcher toute modification au domaine. Un geste qui a eu pour effet de bloquer les démarches pour en faire don au Chaînon, affirment les administrateurs de l’OBNL.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le maire de Sutton, Robert Benoît

Le maire de la petite ville, Robert Benoît, estime qu’il devrait plutôt servir à loger un centre communautaire. Le bâtiment qui remplit actuellement cette mission à Sutton, le centre communautaire John-Sleeth, est dans un état lamentable.

Couverte de graffiti, la façade du centre communautaire, sis au cœur du village, a piètre mine.

Mais après des années où Sutton s’est « pavanée » de ne pas augmenter ses taxes, la municipalité est aux prises avec de sérieux enjeux budgétaires. Et la rénovation du centre John-Sleeth coûterait au bas mot « 10 millions de dollars », selon Robert Benoît ; d’où l’idée d’acquérir le Foyer de Charité.

Or, le maire dit être « tombé à la renverse » lorsqu’il a appris l’intention de la Villa Châteauneuf de donner le Foyer de Charité à un « organisme de l’extérieur », alors que Sutton « a 38 groupes communautaires qui n’ont pas d’installations ou d’équipements ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le centre communautaire John-Sleeth, à Sutton

Ces derniers pourraient déménager « demain matin » au Foyer de Charité, affirme-t-il, en admettant toutefois que certains travaux seront nécessaires dans le bâtiment principal dont les étages supérieurs sont divisés en chambres individuelles.

Robert Benoît martèle par ailleurs qu’il n’entend pas subdiviser le terrain du Foyer de Charité pour y permettre du développement immobilier, ce que les administrateurs de la Villa Châteauneuf le soupçonnent de vouloir faire. Mais il ne ferme pas la porte non plus à un « développement immobilier abordable éventuellement ». « C’est un potentiel, mais ce n’est pas ça du tout l’intention », ajoute-t-il immédiatement.

« Les travailleurs du mont Sutton n’arrivent même plus à se loger en ville », ajoute-t-il ensuite comme exemple des conséquences de la flambée des prix de l’immobilier dans le secteur depuis la pandémie.

Des alliées de taille

L’élu s’est par ailleurs adjoint des alliées de taille dans le dossier : les deux arrière-petites-filles d’Eugène Dyer, Ann et Diana, toujours établies à Sutton 200 ans après l’arrivée de leur ancêtre.

Ces dernières brandissent le contrat notarié qui a officialisé le don des terrains de leur ancêtre aux Sœurs de la Présentation, puis au Foyer de Charité. Le document, signé « en l’an de notre seigneur » 1911, stipule que l’établissement de Sutton doit être utilisé « à des fins d’éducation dans ledit village de Sutton », fait valoir l’aînée, Diana Dyer.

« Que ça devienne un endroit pour héberger, excusez-moi, mais des gens avec des problèmes sociaux d’une autre ville, alors que nous avons des besoins ici et que ça peut accommoder plusieurs activités sociales, ce n’est pas juste », insiste-t-elle, convaincue qu’Eugène Dyer serait plutôt en faveur du projet de centre communautaire de Sutton.

Les deux sœurs et le maire Robert Benoît jugent d’ailleurs que le Foyer de Charité de Sutton a fait l’objet d’une « prise de possession hostile » par la Villa Châteauneuf dont le président, Serge Poirier, serait resté en poste en contravention des règles et statuts de l’OBNL.

Dans l’espoir d’éviter une coûteuse bataille judiciaire devant les tribunaux, le maire espère en venir à une entente avec les administrateurs de la Villa Châteauneuf ; une conclusion qui éviterait par la bande quelques tours dans sa tombe à Eugène Dyer.