Des braconniers ont dispersé des saumons décapités dans la boîte aux lettres de Jean-Luc Brassard, sur le trampoline de ses enfants et un peu partout sur son terrain à Salaberry-de-Valleyfield, en pleine nuit, la semaine dernière. C’est que des pêcheurs illégaux n’ont pas aimé que l’ancien champion de ski de bosses dénonce leurs activités illicites dans une chronique à la radio.

Depuis des années, Jean-Luc Brassard remarque que des braconniers s’installent près de sa cour, qui donne sur un bras du fleuve Saint-Laurent, pour pêcher des saumons, en automne. Le hic, c’est que ces pêcheurs utilisent des grappins, une sorte de crochets qu’ils lancent au bout d’une ligne et qu’ils accrochent vigoureusement dans le dos ou les flancs des poissons. Cette technique de pêche est illégale.

« Ils viennent la nuit avec de grosses lampes frontales et ils éclairent l’eau. Quand un poisson arrive à la hauteur du grappin, ils tirent un bon coup pour que ça leur rentre dans le dos. […] Un chum vient avec une grosse épuisette, ils sortent le poisson, le mettent dans une glacière, placent ça dans l’auto et ils disparaissent. Ça dure 30 secondes, ça va super vite », raconte M. Brassard. Ces pêcheurs ciblent aussi d’autres espèces de poissons comme le maskinongé ou le doré, selon les saisons, ajoute-t-il.

Son voisinage et lui se désolent que les braconniers n’aient aucun respect pour la faune et la flore. L’ex-skieur, qui a racheté la maison de son enfance, constate également une diminution du nombre de poissons dans ce bras du fleuve qui fait une cinquantaine de mètres de largeur. À certains endroits, l’eau est très peu profonde.

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Agent de la faune à la résidence de Jean-Luc Brassard

« Ils marchent n’importe où sans se soucier des endroits où il pourrait y avoir des œufs. Les braconniers, ça bulldoze n’importe où. Ça fume des cigarettes puis ça jette ça dans l’eau », dénonce-t-il, rappelant que les mégots sont hyper polluants. Un mégot peut en effet polluer jusqu’à 500 litres d’eau, selon l’organisme Zéro Mégot.

M. Brassard a tenté d’interpeller lui-même les délinquants, mais son intervention n’a pas porté ses fruits. Il a aussi contacté les policiers, en vain.

Dénonciation à la radio

Il y a une dizaine de jours, dans sa chronique à l’émission du midi au 98,5, M. Brassard a donc décidé d’aborder le sujet. Ce qui ressemble à un acte de vengeance n’a pas tardé. Dans la nuit du 25 au 26 octobre, des têtes et des corps de poissons mutilés ont été dispersés sur son terrain.

Encore le week-end dernier, il a trouvé d’autres morceaux de poissons estropiés dans sa haie et dans sa boîte aux lettres. C’est l’odeur de putréfaction qui l’a guidé vers ces endroits.

« J’ai fait le saut en ouvrant la boîte aux lettres. Une face me regardait. Le corps était parfaitement coupé en deux. Ça puait là-dedans, c’était épouvantable », raconte-t-il, dégoûté.

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Le poisson mort laissé le week-end dernier dans la boîte aux lettres de Jean-Luc Brassard

Nicolas Gendron, un guide de pêche sur le lac Saint-François en amont de Salaberry-de-Valleyfield, confirme qu’il a déjà été témoin de scènes de braconnage. « Du braconnage, ça existe. Il y en a toujours eu sur le lac Saint-François », dit-il sans détour.

En 2019, une centaine d’agents de la faune ont réussi à démanteler un vaste réseau de braconnage dans ce secteur. Les personnes arrêtées pêchaient et vendaient de l’esturgeon, du bar rayé, de la perchaude et du doré.

L’intervention des agents avait été médiatisée, six perquisitions avaient été effectuées à Salaberry-de-Valleyfield, et des poissons et du matériel de pêche avaient été saisis.

Lisez l’article du Journal Saint-François « Important coup de filet contre un réseau de braconnage »

« Malheureusement, le Québec est grand, souligne M. Gendron, qui est guide depuis 12 ans. Les agents de la faune sont très peu nombreux. On ne les croise pratiquement jamais. Le lac Saint-François est grand et le lac Saint-Louis est juste à côté. En plus, avec l’automne, il y a la chasse à surveiller. »

Du saumon dans le fleuve ?

Le saumon chinook est une espèce du Pacifique qui a été introduite dans les Grands Lacs en 1950. Certains chinooks dérivent du lac Ontario vers le fleuve, jusqu’à Salaberry-de-Valleyfield, où ils frayent.

Comme le secteur n’est pas réputé pour le saumon, cette pêche y est autorisée à l’année. Aucun quota concernant le chinook n’est imposé par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) dans la zone 8, qui inclut Salaberry-de-Valleyfield et l’île de Montréal, notamment.

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Saumon chinook remontant le cours d’eau jouxtant le terrain de Jean-Luc Brassard

« Un pêcheur a le droit de pêcher le saumon [à la ligne ou à la mouche], mais il n’a pas le droit d’accrocher de poisson, que ce soit le saumon, l’esturgeon, le doré. Souvent, ce qui arrive en rivière, c’est qu’on pêche à la vue. On voit les poissons en eau peu profonde. C’est pour ça que des pêcheurs réussissent à les snaguer [à les accrocher] », explique celui qui propose des excursions de pêche à l’achigan, au doré ou au brochet.

Au Québec, les braconniers s’exposent à une amende pouvant atteindre 5000 $ lors d’une première infraction et jusqu’à 15 000 $, selon la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Une peine d’emprisonnement de 90 jours peut également être imposée à un récidiviste.

Au sujet du nombre de constats d’infraction donnés depuis le début de l’année en vertu de cette loi, le MELCCFP n’a pas été en mesure de répondre à nos questions lundi. Le Ministère n’a pas non plus indiqué où sont le plus souvent vendus les poissons issus du braconnage.