Une salle d’écoute électronique, un nouveau Groupe tactique d’intervention, un service de contrôle de foule renforcé, des enquêtes sur les tueurs à gages du crime organisé : la police de Laval se prépare à passer au niveau supérieur et à acquérir une foule de nouveaux outils dignes d’une ville d’un demi-million d’habitants. Pour le directeur Pierre Brochet, ce sera l’aboutissement d’une réflexion entamée il y a une décennie, lorsqu’il est entré en poste.

Ce qu’il faut savoir

Depuis son entrée en poste, il y a dix ans, le chef de police de Laval a dû composer avec la croissance rapide de la ville.

Lorsque Laval atteindra le seuil des 500 000 habitants, la loi forcera la Ville à se doter de nouveaux services de pointe associés aux grandes villes.

Aucun financement spécial de Québec n’est prévu pour les villes qui doivent se doter de ces nouveaux outils.

Pierre Brochet a célébré le 1er septembre le dixième anniversaire de sa nomination. Lorsqu’il a quitté la police de Montréal pour devenir chef du Service de police de Laval, en 2013, la Ville allait mal. L’ex-maire Gilles Vaillancourt et d’anciens hauts fonctionnaires avaient été arrêtés pour corruption. L’administration municipale était sous tutelle.

La Commission municipale du Québec avait dit espérer que l’arrivée du nouveau chef de police marquerait un changement de cap. « Les hautes valeurs de probité et d’éthique que Monsieur Brochet incarne constituent, dans le contexte actuel, un élément solide et prometteur d’une gouvernance en reconstruction », avait déclaré l’organisme.

Problèmes de grande ville

Pierre Brochet travaillait à Montréal depuis 1985. Longtemps, lui et ses collègues de la métropole ont considéré Laval comme une banlieue tranquille. « C’était considéré comme une ville très résidentielle avec un sentiment de sécurité élevé », se souvient-il.

Mais Laval a connu une croissance fulgurante.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le chef du Service de police de Laval, Pierre Brochet

À mon entrée en poste, j’ai dit : on va devoir s’adapter. Qui dit grande ville dit problèmes de grande ville. Que ce soit l’itinérance, les dossiers de santé mentale, la toxicomanie, la violence par arme à feu.

Pierre Brochet, chef du Service de police de Laval

Ses dix années en poste sont d’ailleurs loin d’avoir été un fleuve tranquille. Le directeur cite le travail énorme accompli par ses troupes lors des inondations qui ont touché des centaines de résidants. « Et on n’en a pas fini, avec le réchauffement du climat », soupire-t-il.

Le drame du forcené qui a foncé dans une garderie avec un autobus l’hiver dernier, tuant deux enfants et en blessant six autres, a aussi profondément marqué M. Brochet. Tout comme la hausse de la violence par arme à feu ces dernières années, qui a culminé avec quelques épisodes de tirs en public, dans des endroits bondés.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Résidence du quartier Sainte-Rose endommagée par des coups de feu l’an dernier

Un jour, le chef de police s’est rendu sur une scène de crime dans le quartier Sainte-Rose. Des membres d’un gang de rue avaient criblé de balles la maison d’un rival, alors que le reste de sa famille se trouvait à l’intérieur. Les voisins étaient catastrophés.

« Je suis allé à la rencontre d’un résidant, qui m’a demandé : « Est-ce que je devrais déménager ? » », se souvient Pierre Brochet, visiblement toujours en colère à l’évocation de cet incident.

Le service de police a réussi petit à petit à calmer le jeu en matière de violence par arme à feu. Entre autres grâce au projet Paradoxe, où plusieurs unités concentrent leurs efforts sur le petit noyau dur de criminels responsables des fusillades, en parallèle avec un volet de prévention pour éviter que d’autres jeunes grossissent les rangs de groupes criminels. Le projet a donné lieu à des choix difficiles, avec la mise sur la glace d’autres actions policières jugées moins urgentes.

« Je suis très fier du travail des policiers. On a réussi à faire baisser le nombre de décharges », dit-il.

Le directeur avait déjà créé auparavant les escouades Azimut, groupe de policiers jusque-là affectés aux appels au 911, pour s’attaquer à des problèmes ponctuels de criminalité qui suscitent des plaintes de résidants, ainsi que l’escouade Équinoxe, qui travaille à maintenir la pression sur les groupes criminels. Le genre d’escouade qu’on associait autrement plutôt à Montréal.

En réponse à un autre problème de « grande ville », l’organisation a aussi mis sur pied une équipe d’Urgence sociale, formée d’intervenantes spécialisées en santé mentale qui peuvent désamorcer des situations de crise avec des personnes en détresse à la place des patrouilleurs, un besoin qui se faisait de plus en plus sentir. Le service de police a aussi tenu des consultations sur les perceptions des citoyens en matière de profilage racial et encadré les interpellations policières pour répondre aux préoccupations des personnes racisées, qui étaient plus nombreuses à avoir vécu une expérience négative lors d’interactions avec les policiers.

Une transformation… et des dépenses

Mais le service de police se prépare maintenant à une nouvelle transformation. Laval compte actuellement environ 450 000 habitants. Dès qu’elle atteindra les 500 000 résidants, la Loi sur la police l’obligera à assurer des services de « niveau 4 », comme la Ville de Québec.

Seuls le Service de police de la Ville de Montréal (niveau 5) et la Sûreté du Québec (niveau 6) offrent des services de niveau plus élevé.

« Il faut s’assurer d’avoir les effectifs nécessaires », prévient le directeur.

Concrètement, Laval devra augmenter les capacités de son Groupe d’intervention pour en faire un Groupe tactique d’intervention capable de mener des missions encore plus périlleuses. Elle devra se doter de capacités de contrôle de foule en cas d’émeute et mettre sur pied sa propre salle d’écoute électronique pour les enquêtes. Ses enquêteurs spécialement affectés aux homicides se verront confier les dossiers de meurtres impliquant le crime organisé, alors qu’à l’heure actuelle c’est la Sûreté du Québec qui les prend en charge.

À Laval, ce sont souvent quatre ou cinq meurtres par année qui peuvent être liés au crime organisé. « C’est majeur comme augmentation », souligne Pierre Brochet.

Pour un meurtre dans un contexte de violence conjugale, par exemple, l’enquête est souvent plus simple. On identifie le conjoint, on l’arrête rapidement. Avec le crime organisé, ce sont des contrats qui sont passés. Il faut souvent mettre de la surveillance physique, de l’écoute électronique, les enquêtes peuvent durer deux ans.

Pierre Brochet, chef du Service de police de Laval

Les coûts seront évidemment importants. Et la loi ne prévoit aucune subvention spéciale pour les villes qui doivent offrir ces services de pointe. Une réalité dont se sont souvent plaintes les villes de Montréal et de Québec.

« Évidemment, il va y avoir des discussions. La Ville aimerait être appuyée », laisse tomber le chef. Il ignore quand la population atteindra le demi-million, mais lorsqu’il regarde la croissance des dernières années, il constate que ses policiers devront être prêts bientôt.

Une telle croissance prouve d’ailleurs une chose, selon lui. « La dynamique est très bonne à Laval et on va dans la bonne direction. »