(Québec) Des documents d’experts laissent entendre que des manifestants ou des carnavaliers ont pu endommager malgré eux la célèbre fontaine de Tourny en face du parlement de Québec à l’hiver 2022.

C’est cet hiver-là que le « convoi de la liberté » avait envahi la capitale pour dénoncer les mesures sanitaires en même temps que se tenait le Carnaval.

Deux rapports d’inspection que nous avons pu consulter constatent que si l’état général de la précieuse fontaine est généralement stable, « l’état du béton continue de se dégrader ».

La détérioration du sol du bassin a retenu l’attention des experts du Centre de conservation du Québec (CCQ), qui a la mission d’inspecter deux fois par année la fontaine vieille de 170 ans. Comment expliquer pareille dégradation ?

« De nombreux rassemblements se sont tenus devant le Parlement pendant l’hiver, et plusieurs personnes se sont tenues debout à l’intérieur du bassin, particulièrement du côté sud », mentionne un rapport d’entretien réalisé par le CCQ au printemps 2022.

Il est probable que les dommages aient été causés par l’accumulation de sels de déglaçage transportés par les bottes des gens ayant circulé dans le bassin au courant de l’hiver 2022.

Extrait du deuxième rapport du Centre de conservation du Québec, réalisé à l’automne 2022

Les manifestations sont courantes devant le parlement, quoique plus rares en hiver. Mais en février 2022, des rassemblements d’une rare ampleur avaient eu lieu pour dénoncer les mesures sanitaires. Le « convoi de la liberté », dans la foulée de celui d’Ottawa, avait envahi la capitale québécoise pendant quelques jours.

Plusieurs manifestants avaient alors grimpé dans la fontaine pour écouter des discours ou encore déposer des pancartes.

Accès désormais fermé en hiver

La Ville de Québec affirme qu’il est impossible de savoir qui exactement a endommagé la structure. « Il y a des manifestations de toutes sortes devant l’Assemblée nationale ainsi que de l’animation lors du Carnaval de Québec, du côté est de la fontaine. Les dommages ne peuvent donc pas être associés à un groupe en particulier », note le porte-parole Jean-Pascal Lavoie.

Le CCQ recommande à la Ville de « trouver une façon d’interdire les passants d’y marcher lorsque la fontaine n’est pas fonctionnelle, pour éviter que d’autres sels ne s’y accumulent ».

À l’hôtel de ville, on assure que c’est déjà chose faite.

Depuis la saison 2022-2023, la fontaine est complètement « enveloppée » en hiver par une pellicule semblable à celle utilisée pour hiverner les bateaux de plaisance dans les marinas. Le bassin n’est plus accessible.

Jean-Pascal Lavoie, porte-parole de la Ville de Québec

Le CCQ indique qu’il faudra suivre de près l’évolution du béton. Avant d’entreprendre des travaux, il faudra s’assurer que le sel déposé dans la fontaine cet hiver-là ait disparu, ce qui pourrait se faire « naturellement lors des cycles de remplissage-vidage de l’eau réalisé deux fois par année ».

Dans l’éventualité où les dommages doivent être réparés, « une proposition chiffrée sera transmise » à la Ville de Québec.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

La fontaine de Tourny, en automne

C’est la Ville de Québec qui assure l’entretien de l’œuvre. La municipalité a déboursé un peu plus de 55 000 $ en 2022 pour assurer sa pérennité.

Un destin rocambolesque

La fontaine de Tourny a été inaugurée devant le parlement à l’été 2007. Il s’agit d’un don de la Maison Simons pour le 400anniversaire de la ville, célébré un an plus tard.

L’œuvre a connu un parcours rocambolesque. La fontaine a été réalisée en six exemplaires dans la prestigieuse fonderie d’art Barbezat de Val d’Osne en 1854. Un an plus tard, elle gagnait un prix d’excellence à l’Exposition universelle de Paris.

La Ville de Bordeaux en installera deux exemplaires au centre de la ville, à chaque extrémité de l’allée de Tourny. Les deux pièces ne survivent pas au vent de modernisme des années 1960 : elles sont retirées pour faire place à un stationnement souterrain et revendues au poids.

La fontaine aujourd’hui installée à Québec « se retrouve dans la cour d’un antiquaire de Saint-Ouen, près de Paris, à sec et en morceaux. Triste intermède pour cette fontaine dédiée à l’univers marin », note poétiquement une fiche historique sur le site de la Ville.

L’homme d’affaires de Québec Peter Simons visite la brocante au tournant des années 2000 et achète la fontaine dans le but de l’offrir à la Ville. Elle est installée en face du parlement, au milieu du rond-point de l’avenue Honoré-Mercier.