À quelques jours de la rentrée, nombreux sont les étudiants qui ignorent toujours où ils pourront se loger et même s’ils y arriveront. De Montréal à Rimouski en passant par Trois-Rivières, aucun secteur de la province n’est épargné.

Le début du trimestre à dormir sur un divan

Des étudiants universitaires devront entamer leur session la semaine prochaine à l’hôtel ou sur un divan, faute d’avoir trouvé un logement, et ce, dans plusieurs grands centres urbains au Québec. Rimouski, Chicoutimi, Sherbrooke, Trois-Rivières : partout, les appartements libres et peu chers se font rares, un phénomène qui s’est « exacerbé » depuis la pandémie.

L’annonce est sans prétention et contient peu de détails. Deux chambres à louer pour colocataire à 18 minutes à vélo de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Jusqu’ici, pas de quoi écrire à sa mère.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Bord du fleuve à Rimouski

C’est en ouvrant les commentaires sur cette publication du groupe « Logement UQAR Rimouski », sur Facebook, qu’on saisit l’ampleur de l’affaire : une vingtaine de jeunes s’arrachent l’appartement.

Il s’agit de la nouvelle réalité du marché locatif de Rimouski à quelques jours de la rentrée universitaire, fin août. Pas moins de deux étudiants sur cinq y posent leurs valises ces derniers temps sans même avoir trouvé un endroit où coucher.

« Ils débarquent avec leurs valises et demandent : “Où est-ce que je couche ce soir ?” », souffle le directeur des services à la communauté étudiante de l’UQAR, Jean-François Ouellet.

Mais l’UQAR « n’offre pas le service de trouver un logement aux étudiants », souligne-t-il.

Les résidences de l’UQAR sont déjà pleines depuis belle lurette, tout comme celles du cégep de Rimouski, une première.

À « très court terme », les étudiants peuvent se tourner vers des hôtels, mais « il s’agit souvent d’une solution très coûteuse », pointe Jean-François Ouellet.

Résultat : certains dorment sur des divans, chez des amis, ou louent une chambre à prix fort, « ce qui peut remettre en question tout leur trimestre d’études », déplore-t-il.

Des étudiants québécois touchés

Certes, le phénomène touche particulièrement les étudiants internationaux, dont le nombre a presque doublé depuis la pandémie à l’UQAR. Ils sont maintenant près de 800 sur un total d’environ 7000 étudiants que s’apprête à accueillir l’établissement universitaire.

Mais de plus en plus de Québécois originaires d’autres régions subissent aussi les contrecoups de la pénurie de logements à Rimouski. « Ce sont des situations tristes à vivre », laisse tomber Jean-François Ouellet.

Or, la métropole du Bas-Saint-Laurent est loin d’être le seul endroit au Québec à connaître une telle pénurie, bien qu’il semble que le phénomène y soit exacerbé.

Au Saguenay, l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) confirme avoir été en contact avec une centaine d’étudiants à la recherche d’un logement. Bien que l’établissement ne soit pas prêt à « appuyer sur la sonnette d’alarme », sa directrice des communications, Marie-Karlynn Laflamme, convient qu’un « casse-tête » se dessine au seuil de la rentrée.

Une construction de résidences neuves, c’est une réponse à moyen long terme alors que les besoins, ils sont immédiats.

Marie-Karlynn Laflamme, directrice des communications de l’Université du Québec à Chicoutimi

Dans le but de prévenir plutôt que de guérir, l’UQAC s’est d’ailleurs adressée à des hôtels de la région afin de convertir des chambres en logements étudiants, ce qui a été fait dans deux cas.

Une amélioration timide à Sherbrooke

À Sherbrooke aussi, la situation reste tendue. À quelques jours de la rentrée, l’Université était en contact avec pas moins de 220 étudiants toujours sans toit en vue du début des classes.

PHOTO MORGANE CHOQUER, ARCHIVES LA PRESSE

Résidence étudiante de l’Université de Sherbrooke

Il s’agit malgré tout d’une amélioration par rapport à l’an dernier où, à pareille date, ils étaient environ 300 dans la même situation, nuance la vice-rectrice aux études et aux relations internationales de l’Université de Sherbrooke (UdeS), Christine Hudon.

Une timide amélioration attribuable aux efforts déployés par l’UdeS en amont de la rentrée, estime-t-elle. « On s’y est mis plus tôt parce qu’on le sait, c’est difficile de se loger à Sherbrooke. »

Dès juin, l’établissement a lancé un appel à la collectivité dans l’espoir de voir certains offrir en location à des étudiants un espace qu’ils auraient à disposition.

Pour les étudiants internationaux, le défi est d’autant plus grand qu’ils doivent souvent attendre longtemps avant de confirmer leur venue, le temps d’obtenir les papiers nécessaires pour immigrer. Il leur reste donc moins de temps pour se trouver un endroit où habiter, explique Christine Hudon.

Tous les besoins non comblés

À Trois-Rivières, de l’aveu même du conseiller en communication Jean-François Hinse, il suffisait autrefois de franchir la rue à côté du campus pour se trouver un logement abordable au privé. « Mais maintenant, c’est impossible », soupire-t-il.

Quand on allait dans les salons à l’international pour convaincre les étudiants de nous choisir, l’accessibilité des logements, c’était un des arguments qui nous distinguaient. Des logements, il y en avait, ils étaient disponibles et peu chers.

Jean-François Hinse, conseiller en communication, Université du Québec à Trois-Rivières

Aujourd’hui, l’étudiant de l’Université du Québec à Trois-Rivières devra toutefois se contenter d’une colocation ou d’une chambre chez un Trifluvien.

L’an dernier, l’établissement avait même envisagé de se porter acquéreur d’une résidence pour personnes aînées vide afin d’y loger ses effectifs. On aspire maintenant davantage à construire des logements propres aux étudiants. Une nouvelle résidence universitaire de 180 appartements viendra d’ailleurs s’ajouter aux 922 places dont dispose l’université dans ses bâtiments existants dès l’an prochain.

Mais compte tenu de la croissance continue du corps étudiant à Trois-Rivières, « ça ne permet pas de répondre à 100 % » aux besoins, souligne Jean-François Hinse.

Même son de cloche dans les autres établissements consultés pour ce reportage, dont aucun n’entend pourtant diminuer le nombre d’admissions d’étudiants étrangers dans un avenir rapproché.

Les étudiants du Canada anglais face au même problème

Le Québec n’est pas la seule province canadienne où les étudiants universitaires subissent de plein fouet la crise du logement. Par exemple, l’association étudiante de l’Université de Calgary souligne que certains de ses membres vivent à l’autre bout de la ville. Elle ajoute que d’autres ont trouvé un logement près du campus, mais vivent dans une situation précaire, voire demeurent dans leurs véhicules. Des préoccupations similaires ont été soulevées dans tout le pays. À Halifax, une organisation qui aide des femmes et des enfants à se loger dit avoir été surprise cette semaine lorsqu’une université locale l’a contactée pour qu’elle soutienne les étudiants n’ayant pu trouver un logis. L’Université de la Colombie-Britannique a pour sa part ouvert une nouvelle résidence étudiante à Vancouver plus tôt ce mois-ci. L’Alliance canadienne des associations étudiantes a demandé au gouvernement fédéral d’investir 3,2 milliards pour construire 15 000 résidences dans l’ensemble du pays au cours des six prochaines années.

La Presse Canadienne

PHOTO FOURNIE PAR KERRY

Kerry, originaire d’Haïti, prévoit commencer une maîtrise en ingénierie à Rimouski en septembre… s’il arrive à trouver un logement.

« Je n’ai encore rien trouvé »

De Rimouski à Montréal, des étudiants étrangers peinent à trouver un endroit où vivre. Si certains finissent par dénicher la perle rare, pour d’autres, la pénurie est telle qu’ils remettent en question leur projet d’études au Québec.

« Jusqu’à présent, je n’ai encore rien trouvé », déplore Kerry, qui est inscrit à la maîtrise en génie de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Kerry cherche un logement ou une chambre dans cette ville du Bas-Saint-Laurent depuis juin, sans succès. Originaire d’Haïti, où La Presse le contacte, il doit commencer sa session universitaire à la mi-septembre.

Or, il ne sait pas encore s’il réussira à se trouver un logement. « Je mets des annonces sur des groupes à Rimouski, mais dès que des propriétaires affichent un logement, les gens leur écrivent en quelques minutes », détaille-t-il. « Il y a tellement de demande ! »

Le jeune homme a tenté de contacter des agences locatives, sans succès. Soit aucun logement n’était disponible, soit on refusait de signer un bail avec lui à distance. À son arrivée, il n’aura pas les moyens de se payer une chambre à la nuit ou à la semaine, ou encore un hôtel, pour une durée indéterminée.

Il a contacté l’UQAR, mais on l’a informé qu’il n’existait aucun service de recherche de logement.

La situation est telle qu’il envisage de reporter son inscription d’une session.

C’est un peu frustrant parce que les processus sont vraiment longs et compliqués, que ce soit l’admission à l’université ou les processus d’immigration du Canada. Et après tout ça, tu ne peux pas venir parce que tu n’as pas de logement !

Kerry, étudiant étranger sans logement à Rimouski

Ardia Ahamide, elle, a eu la chance qu’une âme charitable lui offre une chambre à Rimouski. La jeune femme de 18 ans du Bénin arrivera au Québec pour la première fois le 10 septembre prochain pour un baccalauréat en génie civil.

PHOTO FOURNIE PAR ARDIA AHAMIDE

Ardia Ahamide, 18 ans, a déniché la perle rare à Rimouski où elle habitera à une quinzaine de minutes à pied de l’Université.

La recherche n’a pas été facile. Peu de personnes lui répondaient et certaines ont voulu la soutenir, puis ont arrêté de lui donner des nouvelles, se souvient-elle. C’est finalement une « dame » de Rimouski qui lui a proposé un hébergement.

« J’étais un peu découragée, mais il n’y a pas de réussite sans un peu d’obstacles, estime-t-elle. J’ai persévéré, j’ai prié et tout. »

Trop de visites

À Montréal, Lucas Rodrigues est lui aussi découragé par la recherche de logement cette année. Cet étudiant en jeux vidéo avec une mineure en histoire de l’art de l’Université de Montréal connaît pourtant bien la métropole.

Cela fait deux ans qu’il y vit. Il a décidé de quitter sa colocation à la fin de l’année dernière pour trouver des gens avec qui il aurait plus d’affinités. Il a entrepris ses recherches au début du mois d’août, à son retour de France.

PHOTO FOURNIE PAR LUCAS RODRIGUES

Lucas Rodrigues se cherche une nouvelle colocation à Montréal. Et ça n’a rien de facile.

J’entends autour de moi qu’effectivement, c’est plus difficile cette année, et je trouve ça compliqué de mon côté aussi. Je contacte beaucoup de personnes sur des groupes, sur Facebook, qui ne répondent pas nécessairement.

Lucas Rodrigues, étudiant étranger sans logement à Montréal

Un processus pénible, quand les locateurs potentiels ne prennent même pas la peine de lire son message. « La plupart du temps, quand on me répond, on me dit qu’il y a trop de gens ou que ma candidature n’a pas été retenue », déplore-t-il.

Le manque d’options a bien failli lui faire accepter une chambre en colocation à 1000 $ par mois, un montant qu’il considère comme trop élevé. « J’avais l’équivalent pour 700 $ l’année passée », dénonce-t-il.

Vendredi, il a appris qu’il pourra rester dans la chambre qu’il sous-loue actuellement à une amie jusqu’à la fin du mois de septembre. Un sursis bienvenu pour trouver la perle rare.

« Pour un an, j’aurais envie de vivre dans quelque chose de bien, espère-t-il. Si possible, avec des gens bien. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Résidence étudiante de l’Université de Montréal

Logement étudiant : la situation à Montréal en chiffres

Contrairement aux centres urbains des régions où il y a carrément pénurie de logements, l’enjeu à Montréal réside davantage dans le coût des loyers qui y sont chers, très chers. Conséquence : des étudiants s’entassent dans des appartements trop petits dans lesquels ils dépensent le gros de leurs maigres revenus, comme le révèle une vaste enquête de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) dont les résultats ont été publiés la semaine dernière. Un aperçu en quelques chiffres.

68,6 %

Proportion de locataires dans la population étudiante postsecondaire à Montréal. De ce nombre, 75,7 % résident dans un appartement conventionnel et seulement 8,8 % dans une résidence étudiante exploitée par un établissement d’enseignement.

74,8 %

Proportion des étudiants sondés par l’UTILE à Montréal qui provenaient de l’extérieur de la ville, dont une majorité (37,4 %) de l’extérieur du pays. En plus faible proportion, les étudiants restants sont originaires soit d’une autre région du Québec (18,3 %), soit d’une autre ville de la région métropolitaine (12,3 %), soit du reste du Canada (6,8 %).

46 %

Pourcentage des étudiants locataires sondés qui vivent dans un logement comptant une seule chambre fermée ou n’ayant pas de pièce fermée du tout. Le hic ? Seulement 28 % d’entre eux affirment vivre seuls. À l’inverse, ils sont 40 % à indiquer qu’ils partagent leur logis avec au moins un autre locataire et 31 % à faire toit commun avec deux autres personnes. Cette situation fait dire à l’UTILE qu’il existe une « surpopulation dans certains petits logements ».

3

C’est le nombre de colocataires, ou plus, qu’on retrouve dans 7 % des studios loués par des étudiants à Montréal, selon l’enquête de l’UTILE, dans 8 % des 2 ½ et dans 13 % des 3 ½. Les chiffres récoltés par l’organisme suggèrent également que plus de la moitié des 2 ½ (57 %) et des 3 ½ (61 %) occupés par des étudiants montréalais le sont par au moins deux personnes. À noter toutefois que ces ménages sont susceptibles d’être composés de couples, de colocataires apparentés ou non.

28 %

Il s’agit de l’écart entre le prix moyen d’un logement de deux chambres ayant accueilli de nouveaux locataires (1235 $) et celui d’un logement dont les locataires sont restés les mêmes (963 $) dans la région de Montréal en 2022, selon des chiffres de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Or, en raison de « leur hypermobilité sur le marché locatif », les étudiants sont particulièrement « vulnérables » à ce phénomène, souligne l’UTILE dans son enquête.

879 $

Il s’agit de la charge personnelle, c’est-à-dire la part du loyer assumée, dépensée en moyenne par mois par un étudiant universitaire à Montréal, selon l’enquête de l’UTILE. Cette donnée doit seulement servir d’exemple, prévient l’organisme, puisqu’elle doit être recalculée en fonction de la taille du logement et du nombre de colocataires. Un étudiant vivant seul risque de payer plus cher qu’un autre ayant des colocataires.

20 000 $

Près de la moitié des étudiants sondés par l’UTILE déclarent un revenu annuel de 20 000 $ et moins, en comptant le salaire, les prêts, les bourses avant impôts et l’aide parentale. Or, le revenu maximum pour être admissible à un logement à loyer modique s’établit à 38 000 $ à Montréal en 2023, souligne l’organisme.