Un touriste intoxiqué au javellisant dans la Réserve faunique de Matane compte poursuivre la SEPAQ

Une visite à la Réserve faunique de Matane a viré au cauchemar pour une famille italienne qui dit avoir consommé de l’eau contaminée avec des coliformes totaux et de l’eau de Javel, sans en être avertie. Après avoir été hospitalisé, le père de famille prévoit entamer des poursuites judiciaires contre la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ).

Tout a commencé le 14 août dernier quand Emiliano Piccinin, sa femme Sara De Vincenzo et leur bébé de 8 mois, Matilda, sont arrivés dans leur chalet de la Réserve faunique de Matane, située à l’entrée de la Gaspésie.

Il s’agit du premier voyage pour la famille. « Notre fille est très jeune, donc nous avions choisi le Canada parce que c’est l’un des endroits les plus sécuritaires au monde », explique M. Piccinin au bout du fil.

Dans le chalet, rien n’indique que l’eau n’est pas potable, affirme M. Piccinin, vidéo à l’appui.

« Dans tous nos chalets, en permanence, des affiches sont installées à tous les points d’eau, afin d’indiquer si l’eau est potable ou non », a assuré de son côté Olivia Jacques, conseillère en relation avec les médias de la SEPAQ, dans une déclaration écrite.

La famille commence à avoir quelques problèmes gastriques, comme de la diarrhée, mais ne se pose pas de questions. Le lendemain, constatant qu’il n’y a plus d’eau dans leur chalet au moment de partir, la mère affirme s’être rendue au bureau d’accueil pour s’informer des raisons derrière cette interruption.

Une employée l’aurait alors informée que l’eau avait été remise en fonction, sans plus, affirme-t-elle. Quelques instants plus tard, après avoir bu de l’eau au chalet, le père de 44 ans ressent des symptômes instantanément.

J’ai commencé à vomir, ça me brûlait, je me sentais vraiment étourdi, prêt à m’évanouir.

Emiliano Piccinin

Il se rend au bureau le plus près, où – première surprise – il apprend que l’eau dans le parc est contaminée par des coliformes totaux.

Il s’agit d’un groupe de bactéries qui vivent dans les intestins des animaux et dans l’environnement. Ils ne présentent pas de risque immédiat pour la santé, mais sont des indicateurs de changement dans la qualité de l’eau, selon le gouvernement du Canada. Un traitement est nécessaire à partir d’un certain seuil.

Consultez la fiche informative de Santé Canada sur les coliformes totaux

Deuxième surprise, encore plus mauvaise celle-là : le parc vient d’effectuer une désinfection de son système de distribution d’eau avec de l’eau de Javel. C’est probablement cette eau que M. Piccinin a ingérée, estime-t-il.

De son côté, la SEPAQ affirme que lors de la visite de la femme un peu plus tôt, son employée lui a bel et bien expliqué la situation concernant la désinfection.

Les symptômes en cas d’ingestion d’eau de Javel diluée sont des douleurs à la poitrine ou au ventre, des nausées ou des vomissements. L’eau de Javel peut provoquer des perforations ou des hémorragies digestives. Un transfert immédiat à l’hôpital est recommandé par l’Institut national de la recherche scientifique.

Sans aide

Au bureau d’accueil, M. Piccinin demande alors de parler à un supérieur.

Celui-ci se trouve dans un autre bureau, situé à près d’une heure de route dans le parc. La famille s’y rend.

Le directeur nous a juste dit qu’ils avaient oublié de mettre un signe et que nous n’aurions pas dû boire cette eau. Quand j’ai dit que je voulais aller à l’hôpital, il m’a dit que je devais me débrouiller pour y aller.

Emiliano Piccinin

Du côté de la SEPAQ, on assure au contraire que « l’employé a offert d’appeler une ambulance ». « Le client a refusé le transport en ambulance et s’est rendu à l’urgence par ses propres moyens. »

Dans tous les cas, le père de famille prend la route et conduit environ 45 minutes pour arriver à l’hôpital d’Amqui, en Gaspésie. Sa femme et leur poupon restent derrière pour tenter de démêler les informations avec la SEPAQ.

« C’était le pire cauchemar »

Une fois à l’hôpital, M. Piccinin apprend qu’il devra être hospitalisé. Impossible pour lui de retourner chercher sa femme et son bébé dans la réserve avec la voiture de location.

Pendant ce temps, Mme De Vincenzo a réussi à obtenir une déclaration de la part de l’employée de la SEPAQ – que La Presse a pu consulter – confirmant que l’eau était contaminée aux coliformes totaux et à l’eau de Javel.

PHOTO FOURNIE PAR EMILIANO PICCININ

Sara De Vincenzo, Emiliano Piccinin et leur bébé Matilda, au début de leur séjour dans la Réserve faunique de Matane

Les employés de la SEPAQ refusent toutefois d’offrir du soutien à la mère pour rejoindre son conjoint à l’hôpital, soutient M. Piccinin. « Ils lui ont dit de faire du pouce pour venir me rejoindre », dénonce-t-il, encore incrédule. « C’était le pire cauchemar. »

La SEPAQ affirme de son côté avoir suggéré à l’homme d’amener sa famille avec lui, mais qu’il a préféré la laisser à la réserve.

« Les employés de la réserve ont effectué plusieurs démarches afin de trouver un taxi équipé d’un siège d’auto pour bébé. Celui-ci n’étant pas disponible immédiatement, seulement 30 minutes plus tard, la cliente a décidé de partir avec un autre client qui a offert de l’amener », a indiqué Olivia Jacques, de la SEPAQ.

Hospitalisé

D’Amqui, Emiliano Piccinin est transféré en ambulance à l’hôpital de Rimouski pour faire des tests plus poussés concernant des blessures à l’estomac et à l’œsophage. Heureusement, son estomac n’est pas perforé.

Il reçoit son congé d’hôpital le lendemain et dépose une plainte à la Sûreté du Québec, que La Presse a pu consulter.

La famille reprend alors la route pour revenir lentement vers Montréal, M. Piccinin se sentant toujours mal en point.

« On était censés faire le tour de la péninsule gaspésienne, mais après ce qui s’est passé, on n’en était pas capables, déplore M. Piccinin. On a perdu la moitié de notre voyage. »

La famille est en contact avec l’ambassade d’Italie et a été mise en lien avec un avocat pour entamer des démarches judiciaires. « Parce que ce qui s’est passé est incroyable ! s’exclame M. Piccinin. Tu ne peux pas mettre de l’eau de Javel sans avertir les clients. Et en plus, ils ne nous ont offert aucun soutien ! »

Avec Vincent Larin, La Presse