Ouvrir son pot de yogourt. Demander d’aller aux toilettes. Ranger sa boîte à lunch. Ces tâches paraissent simples, mais pas pour les enfants avec un trouble du langage, pour qui demander de l’aide ou comprendre des instructions relève du défi. Pour soutenir leur transition vers la maternelle, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal a créé un camp d’été hors du commun. La Presse y a passé une matinée.

La pièce ressemble à s’y méprendre à une salle de classe pour les tout-petits. Des tables bleues et jaunes sont entourées de minichaises. Des jouets colorés bordent les murs, accompagnés d’un coin détente. De grandes images, représentant des paysages et des animaux, sont exposées.

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Yacine et Estelle donnent des bonbons aux peluches pour un Halloween imaginaire, pendant la période de jeux libres.

Nous ne sommes pourtant pas dans un établissement scolaire, mais au sein du programme Langage et trouble du traitement auditif du Centre de réadaptation Raymond-Dewar, situé avenue Laurier Est, à Montréal.

Edouard, Yacine, Estelle et Leng-Pheng font partie de la cinquantaine d’enfants qui ont pu bénéficier cet été de cette deuxième édition du camp 1, 2, 3 Maternelle nous voici.

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La pièce où se déroule le camp ressemble à une salle de classe pour les tout-petits.

Pendant une semaine, de 8 h 30 à 16 h, ils font l’expérience d’un environnement scolaire, mais en étant entourés de nombreux professionnels – éducatrice spécialisée, orthophoniste, ergothérapeute, psychoéducateur, travailleuse sociale, etc.

Ces derniers vont non seulement animer des activités ludiques pour les préparer à l’école, mais ils vont aussi les observer dans le but de transmettre des recommandations individualisées aux parents et aux futurs établissements scolaires.

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Ani-Kim Gendron, cheffe du programme Langage et trouble du traitement auditif du Centre de réadaptation Raymond-Dewar

Un accompagnement intensif qui « permet d’éviter que l’enfant vive un échec dès le départ, qui pourrait teinter le reste de sa scolarité », explique sur place la cheffe du programme, Ani-Kim Gendron.

Dans la foulée de la pandémie

L’idée d’un tel camp est née à la sortie de la pandémie, quand un grand nombre d’enfants ont été dirigés d’un coup vers le programme en raison d’une reprise des services de première ligne (CLSC, hôpitaux, etc.).

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Le petit Leng-Pheng écoute attentivement des consignes.

« On s’est demandé comment on allait faire pour leur donner des services avant leur entrée à la maternelle, pour qu’ils soient prêts », souligne l’ergothérapeute et coordonnatrice clinique du programme Marianne Paquet.

Avec la popularité de sa première édition, le camp s’est poursuivi cet été, élargi aux clients déjà pris en charge par le programme.

Le camp 1, 2, 3 Maternelle nous voici a été créé sur mesure pour les enfants présentant un trouble développemental du langage ou un trouble de développement des sons de la parole, tous deux d’origine neurologique (voir capsule). Ces enfants ont de la difficulté à comprendre ou à communiquer, donc parfois à socialiser, à parler ou, dans certains cas, à bien manipuler les objets.

On pratique avec les enfants comment ranger ses effets dans son sac d’école, comment ouvrir sa boîte à lunch, comment demander si on a envie de pipi, quand on a des difficultés de langage et qu’on peut être gêné.

Marianne Paquet, ergothérapeute et coordonnatrice clinique du programme Langage et trouble du traitement auditif du Centre de réadaptation Raymond-Dewar

Les parents sont impliqués dans le processus. Ils rencontrent une travailleuse sociale la première journée, et tous les autres intervenants la dernière journée. « Ça les rassure énormément quand ils voient que leurs enfants ont réussi à s’intégrer », soutient Mme Gendron.

Dans le plaisir

« C’était gros, vraiment gros. Et rose ! », s’exclame Edouard, espiègle, en faisant référence au « volcan des émotions » fabriqué par le groupe la veille. De l’autre côté de la table, Leng-Pheng n’a pas d’hésitation, quand on lui demande quelle est son activité préférée : « Pat’Patrouille ! »

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L’éducatrice spécialisée Mimi Boisjoly avec Edouard pendant la période de jeux libres

Ce matin d’août, les enfants prennent la collation, puis ont une période de jeu libre avant d’entamer une activité lecture avec l’orthophoniste Marie-Jeanne Théorêt. Ils doivent d’abord chacun coller un animal sur le tableau présentant un paysage lui correspondant. Yacine place son hippocampe (« hi-ppo-campe », s’exercent les enfants en chœur) à côté de la tortue. Les animaux se font un bisou, soutient-il. « Les bisous, c’est dégueulasse ! », s’exclame Estelle, en gloussant.

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Le psychoéducateur Francis St-Onge fait son arrivée dans la salle.

Toc toc ! Les quatre enfants se précipitent à la porte, où se trouve… un facteur (le psychoéducateur Francis St-Onge). C’est l’heure de la prochaine activité qui, celle-là, permettra d’apprendre à gérer sa colère en fabriquant de la pâte à modeler.

Des parents soulagés

Nadia Melián n’a que de bons mots à propos de la semaine de camp à laquelle son fils Karl a participé à l’été 2022. « À la fin, il était tellement fier de lui-même qu’il avait hâte d’aller à l’école, raconte-t-elle. Et comme il savait à quoi s’attendre, ça a été vraiment très bénéfique ! »

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Nadia Melián a envoyé son fils au camp 1, 2, 3 Maternelle nous voici à l’été 2022. Enzo, le fils de Reda Ait-Hamouda (à droite), a participé au camp il y a quelques semaines.

Reda Ait-Hamouda, dont le fils Enzo a participé au camp il y a quelques semaines, y voit de son côté une culmination du soutien clinique offert par le Centre de réadaptation. « Ça l’a aidé parce qu’il a connu d’autres enfants. Maintenant, il sait c’est quoi la routine du matin jusqu’à l’après-midi, comme à l’école », observe-t-il.

Une chose est sûre, selon Marianne Paquet : vu son succès, le camp Maternelle 1, 2, 3 nous voici « est là pour rester ».

Les troubles du langage

Le diagnostic de trouble développemental du langage et de trouble de développement des sons de la parole est généralement prononcé aux alentours de 5 ans, si les difficultés de l’enfant ne sont pas corrigées malgré les interventions intensives des professionnels et de la famille, explique l’orthophoniste et coordonnatrice Hélène Beaudoin. Ce type de trouble peut être détecté dès l’âge de 18 à 24 mois. Une prise en charge est possible dès le tout jeune âge. Le trouble va toutefois persister pendant toute la vie de la personne atteinte. Dans certains cas, ces troubles sont associés à d’autres problèmes, comme des difficultés motrices ou sociales.

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  • 7 %
    Pourcentage des enfants atteints d’un trouble développemental du langage
    SOURCE : Ordre des orthophonistes et audiophonistes du Québec