11 h 50. Des centaines de personnes sont postées devant leur ordinateur, carte de crédit dans une main, les doigts de l’autre croisés. Plus que 10 minutes avant l’ouverture des guichets. La tension monte. On pourrait croire qu’on décrit l’achat d’une paire de billets pour le spectacle de Madonna. Mais c’est loin d’être le cas. On parle plutôt du défi de trouver une place pour son enfant dans un cours de natation.

« C’est très décourageant comme situation ! J’ai essayé d’obtenir une place à plusieurs endroits, mais c’est vraiment un parcours du combattant », explique Catherine Lecours, maman d’Alicia, 4 ans.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Catherine Lecours et sa fille Alicia

À chaque début de session, la résidante d’Ahuntsic espère que sa fille obtiendra une place dans un cours mis en place par Sports Montréal. Mais c’est mission presque impossible. Sur 10 tentatives au cours des dernières années, elle n’a réussi à l’inscrire que 3 fois. Le nom d’Alicia se retrouve inévitablement sur une liste d’attente, qui s’allonge et s’allonge…

Même son de cloche du côté de Laurence Bergeron, Marianne Paquet, Jenny Lai, Evelyne Audet, Marie-Ève Paré, Claudia Korkmaz, et plusieurs autres parents de l’arrondissement d’Ahuntsic, joints par La Presse.

C’est tellement ridicule, je me mets des rappels partout, je bloque mon agenda pour être certaine de ne pas avoir de réunion. Je suis vraiment révoltée !

Claudia Korkmaz

Cette situation n’est pas propre à Sports Montréal. À l’Institut de natation de Montréal, qui loue 23 piscines à Montréal pour y donner des cours, on comptait plus de 1100 familles sur la liste d’attente au début de l’année 2022.

Selon le PDG de l’Institut de natation de Montréal, Adam Di Fulvio, la pénurie de main-d’œuvre explique ce fléau. « Cette année, au Québec, il nous manque 2000 à 3000 sauveteurs et moniteurs par rapport aux effectifs prépandémiques. »

Des cours qui sauvent des vies

À l’approche de l’été et de l’ouverture des piscines, l’offre limitée de cours de natation augmente considérablement le risque de noyade, estime Adam Di Fulvio. Lui-même sauveteur et moniteur, il se montre très inquiet.

Les enfants ne nagent pas aussi bien qu’avant la pandémie. On voit des enfants de 7 ans qui ne savent pas nager du tout.

Adam Di Fulvio, PDG de l’Institut de natation de Montréal

Selon Adam Di Fulvio, le manque de personnel devrait se résorber d’ici trois à cinq ans, notamment grâce au Programme d’aide financière pour la gratuité de la formation des surveillants-sauveteurs et des moniteurs aquatiques. « On va dans la bonne direction », estime-t-il.

La longueur des listes d’attente est attribuable à plusieurs autres facteurs. Directrice des Initiatives activités physiques et aquatiques des YMCA du Québec, Marie-France Hébert blâme l’augmentation démesurée de la demande. « Les campagnes de sensibilisation de la Société de sauvetage portent fruit, explique-t-elle. Les gens font de plus en plus d’activités nautiques. Il y a une véritable fascination pour l’eau au Québec. »

Une plus grande demande, mais pas nécessairement de nouvelles installations. « On ne fait que rénover les piscines vétustes, mais on n’augmente pas leur nombre », se désole Marie-France Hébert.

Et lorsque les piscines ferment pour rénovation, les parents doivent se tourner vers d’autres quartiers pour que leurs enfants apprennent à nager. De l’avis du directeur général du Centre sportif de la Petite-Bourgogne, Dickens Mathurin, ce phénomène a grandement contribué à la demande astronomique dans la Petite-Bourgogne.

« Les gens se cherchent des piscines ailleurs. On a déjà eu jusqu’à 1000 enfants sur notre liste d’attente », explique-t-il. Dans son centre sportif comme partout ailleurs, les cours de natations se remplissent en moins de cinq minutes.

Plus de moniteurs ?

Les efforts déployés pour favoriser le recrutement de sauveteurs et de moniteurs aquatiques renversent graduellement la vapeur. Mais des mesures supplémentaires sont nécessaires pour raccourcir les listes d’attente.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Cours de natation à la piscine du Patro Villeray

Julie Boucher, responsable loisirs et sports au Patro Villeray, est d’avis qu’on devrait s’inspirer du système scolaire français, dans lequel ses enfants ont grandi. « On devrait intégrer les cours de natation au cursus scolaire, comme en France », suggère-t-elle.

Un projet pilote a d’ailleurs été mis en place par le Centre sportif de la Petite-Bourgogne, en collaboration avec l’école primaire De la Petite-Bourgogne, située à quelques pas du centre sportif. « Nous donnons des cours de natation pendant les périodes d’éducation physique », explique fièrement Dickens Mathurin, qui affirme que grâce au projet, le centre sportif arrive à désengorger les plages horaires régulières des cours du soir et des fins de semaine.