La famille de Daphné Huard-Boudreault, jeune femme assassinée par son ex-conjoint harcelant en 2017, poursuit pour 1 million de dollars la Régie intermunicipale de police Richelieu–Saint-Laurent. La famille reproche aux policiers d’avoir causé « de manière directe » la mort de la jeune femme par leurs nombreuses fautes.

Le meurtre de la femme de 18 ans a choqué le Québec à l’époque. Daphné Huard-Boudreault a été poignardée à mort par son ex-copain jaloux, à peine quelques heures après avoir appelé le 911 pour le dénoncer. Les policiers étaient intervenus sans arrêter le futur meurtrier. Anthony Pratte-Lops a été depuis condamné à la prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 18 ans.

Après leur rupture survenue quelques jours plus tôt, Anthony Pratte-Lops traque son ex-copine jour et nuit pour la retracer. Le matin du 22 mars 2017, il la retrouve, se cache à l’intérieur de sa voiture et refuse d’en sortir. Daphné Huard-Boudreault se résigne alors à se rendre quand même à son travail, un dépanneur d’Otterburn Park. L’homme en profite pour voler le cellulaire de son ex-copine.

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Le dépanneur d’Otterburn Park où travaillait Daphné Huard-Boudreault

Sur place, Daphné Huard-Boudreault appelle le 911, puisque son ex-copain l’attend toujours devant le commerce. « Ce n’est pas la première fois qu’il agit de cette façon et qu’il n’est pas stable dans sa tête », explique-t-elle au 911.

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Anthony Pratte-Lops

Quatre agents de la Régie intermunicipale de police Richelieu–Saint-Laurent se présentent sur place. Certains policiers voient Anthony Pratte-Lops faire des doigts d’honneur vers le commerce et insulter son ex-copine à voix haute. Quand celle-ci demande d’aller récupérer ses affaires à leur ancien appartement, Anthony Pratte-Lops accepte, mais refuse qu’elle soit accompagnée de policiers. Il n’est pas arrêté à ce moment.

Le cellulaire de son ex-copine en main, Pratte-Lops découvre qu’elle a un nouvel amoureux. Il publie en ligne une vidéo fielleuse envers la jeune femme. Un peu plus tard dans la journée, Daphné Huard-Boudreault retourne dans leur appartement pour chercher son téléphone, suivie par une policière dans une autre voiture. Le meurtrier l’attendait. Sa gorge était déjà coupée à l’arrivée de la policière, quelques secondes plus tard.

« Une faute »

Au procès en déontologie policière en 2022, la famille a appris que les agents n’avaient pas appliqué adéquatement la Directive pour violence conjugale, au prétexte que Daphné Huard-Boudreault n’avait pas de « blessures apparentes ». Or, il s’agit d’une faute déterminante, selon les avocates de la famille, MVirginie Dufresne-Lemire et MImane Melab.

« Les [policiers] ont commis une faute en exigeant que des menaces ou des blessures physiques constatées sur la victime soient nécessaires pour enclencher l’application des directives en matière de violence conjugale », soutiennent les avocates de la famille.

Ces exigences supplémentaires ont engendré une réduction du champ d’application des directives en matière de violence conjugale et ont directement contribué au sort tragique de Daphné.

Les avocates de la famille de Daphné Huard-Boudreault

De plus, les hauts dirigeants de la Régie étaient « au fait de l’interprétation et de l’application erronée des directives en matière de violence conjugale », affirme-t-on dans la poursuite.

Selon la famille de la victime, les policiers de la Régie n’ont pas pris en compte de nombreux facteurs cruciaux lors de l’intervention, dont l’entrée par effraction dans le véhicule, la présence indésirée de l’ex-conjoint au commerce, les insultes lancées par ce dernier, le vol du cellulaire et le contexte de rupture amoureuse.

« Ils ont omis de porter des accusations à l’encontre de M. Pratte et en dépit de la volonté de Daphné, et ce, malgré leur constatation que des actes criminels avaient été perpétrés par ce dernier », poursuit-on dans la requête.

« Le cas de Daphné illustre certains mythes et stéréotypes entourant la violence conjugale. Par cette poursuite, la famille de Daphné souhaite recevoir une compensation pour les dommages subis et aider à faire la lumière sur la réalité de la violence conjugale », soutient MDufresne-Lemire dans un communiqué.

Les avocates réclament 1 million de dollars en dommages pour les membres de la famille en raison du choc post-traumatique qu’ils ont subi et de leurs séquelles « particulièrement élevées ».

L’histoire jusqu’ici

22 mars 2017

Daphné Huard-Boudreault est tuée par son ex-conjoint Anthony Pratte-Lops à Mont-Saint-Hilaire. La femme de 18 ans avait contacté le 911 le matin du drame, mais les policiers n’avaient pas arrêté l’homme.

2 mai 2019

Anthony Pratte-Lops plaide coupable à un chef de meurtre non prémédité. Il est condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 18 ans.

5 avril 2023

Deux policiers de la Régie intermunicipale de police Richelieu–Saint-Laurent sont innocentés par le Comité de déontologie policière.