Contrairement aux organismes génétiquement modifiés (OGM) traditionnels, les plantes issues de « l’édition génomique » n’auront pas besoin d’une autorisation du gouvernement canadien avant d’être plantées dans nos champs. L’industrie des semences s’engage toutefois à créer un registre pour identifier les variétés développées grâce à cette technologie.

La ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, en a fait l’annonce mercredi lors d’une conférence de presse virtuelle. La mise en place de cette base de données se veut la réponse d’Ottawa à la levée de boucliers des producteurs biologiques, qui craignaient pour leur certification.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre fédérale de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau

« C’est la voie de passage qu’on a trouvé », a expliqué la ministre Bibeau au sujet du registre. « C’est un engagement de l’industrie, ce n’est pas une obligation légale », a-t-elle précisé plus tard en anglais.

Il n’y a pas encore de plantes issues de l’édition génomique cultivées dans le système agricole canadien. Cette nouvelle technologie permet d’apporter des modifications dans la séquence ADN existante des plantes sans y insérer de gènes d’une autre espèce, comme c’est le cas avec les OGM dits traditionnels. Elle permet d’atténuer, d’accentuer ou d’éteindre les traits génétiques qui sont déjà présents dans la plante.

Les partisans de cette approche y voient un outil révolutionnaire qui rendra les cultures plus résilientes aux changements climatiques ou les aliments plus riches en nutriments.

Qu’est-ce qu’un OGM ?

Le gouvernement fédéral a officiellement publié mercredi un « document d’orientation » qui vise à « interpréter » le Règlement canadien sur les semences. En vertu de ce règlement, il faut obtenir la permission du gouvernement canadien avant de disséminer des semences génétiquement modifiées dans l’environnement.

La ministre Bibeau a affirmé que « dans le sens de la science » les plantes issues de l’édition génomique ne sont « clairement pas » des OGM, car ils n’impliquent pas « l’introduction d’un ADN extérieur ». Ainsi, ils ne devront pas se plier au règlement.

La base de données sera gérée par Semences Canada, la principale association qui représente les cultivateurs, distributeurs et détaillants de semences.

« Le gouvernement, on prend l’engagement de faire la surveillance de cette base de données là avec la complicité d’un comité multisectoriel », a précisé la ministre Bibeau.

La filière bio veut un registre obligatoire

En plus de ne pas utiliser de pesticides de synthèse et d’engrais chimiques, l’agriculture biologique doit garantir qu’elle n’utilise pas d’OGM pour obtenir une certification.

« Ce sont toutes les certifications biologiques de la planète qui ont la même règle : ils n’autorisent pas l’édition génomique, ils considèrent l’édition génomique égale à un OGM », a expliqué Christian Legault, responsable de la veille réglementaire à la Filière biologique du Québec.

Ce dernier déplore que le registre ne soit pas obligatoire. « Tout ce qu’on demande, c’est la traçabilité », dit-il.

Ils vont permettre de mettre en marché sans aucune identification de ces produits-là. Mais les citoyens seraient peut-être intéressés de savoir, par principe de précaution, quels sont ces produits-là. Comme ça, le citoyen va continuer d’avoir une option pour choisir s’il en veut ou s’il n’en veut pas.

Christian Legault, responsable de la veille réglementaire à la Filière biologique du Québec

La Coopérative d’agriculture de proximité écologique, dont les trois quarts des membres sont certifiés biologiques, a aussi dénoncé le concept de « transparence volontaire ». Son président Léon Bibeau-Mercier l’a même qualifié de « patente à gosse ». « On a un peu l’impression que c’est une façon de noyer le poisson », a-t-il expliqué.

« Sans obligation légale, nous craignons que les données d’un registre tenu par l’industrie soient incomplètes ou fausses puisque jusqu’à preuve du contraire, aucune mesure correctionnelle contraignante et aucun processus d’évaluation indépendant ne sont envisagés pour assurer l’intégrité des données. »

De son côté, la ministre Bibeau réplique qu’elle a respecté son engagement. « Franchement, avec un autre gouvernement, ça fait longtemps que l’édition génomique serait at large ouverte et il n’y aurait eu aucune protection du secteur biologique. »

Pour Thibault Rehn, le coordonnateur du groupe de pression Vigilance OGM, la ministre Bibeau a choisi le camp de l’industrie.

« Le gouvernement fédéral délègue sa responsabilité quant à l’évaluation et la traçabilité des futures cultures GM sur le marché et nous demande de faire entièrement confiance à l’industrie qui a milité contre la transparence obligatoire ».

La directive saluée par les Producteurs de grains

L’annonce aussi suscitée des réactions positives. Le syndicat agricole des Producteurs de grains du Québec a salué la publication des directives servant à interpréter le règlement.

« Cette mesure renforcera la capacité des producteurs à s’adapter aux conditions climatiques de plus en plus imprévisibles. En effet, les variétés végétales émanant de l’édition génétique et étant jugées sécuritaires par Santé Canada, sont notamment conçues pour être plus résistantes à la sécheresse, aux températures extrêmes, aux maladies et aux ravageurs », a déclaré leur président, Christian Overbeek, dans un communiqué de presse.

« Le produit qui ressort du processus d’édition génique est exactement le même que si on l’avait fait d’une façon traditionnelle avec les croisements. Pour l’environnement et pour la sécurité et la santé humaine, il n’y a aucune différence, alors pourquoi ajouter des années et des millions de dollars de recherche pour [autoriser] ces produits-là ? », a pour sa part ajouté Pierre Petelle, PDG de Crop-Life Canada, un lobby qui défend les intérêts de l’industrie des semences, des pesticides et des fertilisants