Quel impact a eu la crise du verglas sur les femmes enceintes et leurs bébés à naître ? La psychologue Suzanne King, de l’Université McGill, s’est penchée sur la question et a tracé la voie au Projet Verglas et à plusieurs études toujours en cours, depuis 25 ans.

Comment est venue l’idée d’étudier l’impact du stress prénatal chez des femmes enceintes durant la crise du verglas ?

« Au moment de la crise, mon mari était en voyage pour un congrès. Mes enfants avaient 4 et 6 ans et nous étions à la maison, sans électricité. Nous avons changé d’endroits à quelques reprises. Une semaine après le retour de l’électricité, je suis allée donner du sang à l’Université McGill. Une infirmière a pris ma pression. Elle était haute, moi qui, normalement, a une pression plutôt basse. Je me suis dit : ah ! c’est le stress. Et si je suis stressée, il y a certainement beaucoup de femmes enceintes qui le sont en ce moment. J’ai compris que je pouvais évaluer le stress de façon prospective. »

Prospective, dans quel sens ?

« Au moment de la crise, je travaillais à une étude appelée Envirogen dans laquelle je m’intéressais aux facteurs de risques liés à la schizophrénie. Les archives psychiatriques de la Seconde Guerre mondiale avaient déjà révélé qu’un nombre de personnes plus important que la moyenne qui étaient in utero durant le bombardement de Rotterdam (14 mai 1940) ont été atteintes de schizophrénie. Notamment des fœtus masculins qui étaient dans le deuxième trimestre de grossesse de la mère. Avec le verglas, j’avais l’occasion d’évaluer le stress prénatal et ses impacts de façon prospective et non rétrospective, comme c’était le cas avec les données de Rotterdam. »

Comment avez-vous amorcé le travail ?

« Avec l’aide des hôpitaux de la Montérégie situés dans le triangle noir et celle des médecins, j’ai fait parvenir, en juin 1998, des questionnaires aux femmes enceintes durant le verglas. Un peu plus de 200 ont accepté de participer. J’ai pu faire un suivi des enfants jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 19 ans. Évidemment, nous avons perdu des participants au fil des ans. Il était plus difficile de garder le contact. »

Qu’avez-vous découvert ?

« Lorsque les enfants ont atteint l’âge de 2 ans, nous avons pu faire une première évaluation, avec un petit nombre d’entre eux. Nous avons évalué leur développement cognitif. Et tout de suite, on a pu voir une grosse différence dans le quotient intellectuel (QI) et le langage (nombre de mots) selon le nombre de jours passés sans électricité. Nous avons pu nous rendre compte que plus les difficultés objectives (la menace, la perte, les changements et la durée) sont élevées, plus bas est le QI de l’enfant. Et nous avons aussi conclu que ce sont les évènements subis par les femmes qui ont un effet sur l’enfant, et non le niveau de détresse de la mère. »

Outre le QI et le langage, a-t-on observé d’autres enjeux ?

Oui, plusieurs. Suzanne King et son équipe ont remarqué que les difficultés objectives nommées ci-dessus se traduisent par plusieurs effets physiques tels l’obésité, l’indice de masse corporel, le diabète, les maladies auto-immunes. La corrélation entre l’évènement générateur de stress (le verglas) et le stade de la grossesse est aussi importante à considérer. « Les organes ne se développent pas tous de façon égale et en même temps, explique la chercheuse. Certains ont des phases de développement plus rapides. Par exemple, nous avons observé des traits de l’autisme chez les femmes dont la grossesse était au premier trimestre et des problèmes de motricité (équilibre, coordination) chez les enfants dont le fœtus était au troisième trimestre, un moment où le cervelet est en phase rapide de développement. »

Cette étude sur les bébés du verglas s’est-elle étendue ?

Oui, Suzanne King a amorcé des projets de recherche sur les mères et enfants victimes des inondations de 2008 dans l’Iowa et de 2011 dans le Queensland, en Australie. Elle s’intéresse aussi à l’impact des incendies de Fort McMurray, en Alberta, en 2016 et aux inondations issues de l’ouragan Harvey survenues en 2017 au Texas. Bien des recherches restent à faire, des résultats à faire partager.

Dans une version précédente, nous avons situé le bombardement de Rotterdam au 10 mai 1944. C’était en fait le 14 mai 1940. Nos excuses.