En processus d’embauche à la Banque Scotia, Maryline Lambelin a sursauté lorsqu’on lui a proposé de dévoiler son identité de genre et son orientation sexuelle dans un questionnaire en ligne. Cette pratique vise à rendre l’entreprise « plus inclusive », indique l’institution financière.

Début novembre, Maryline Lambelin, qui est lesbienne, pose sa candidature en ligne à un poste de direction de la Banque Scotia. Dans la section sur son profil personnel, elle constate avec surprise que des questions portent sur son identité de genre et son orientation sexuelle.

Les choix de réponse la laissent perplexe. Pour l’identité de genre, elle peut choisir parmi les réponses suivantes : « agenre, bigenre, cisgenre, genre non conforme, intersexe, homme, pangenre, trans/transgenre, bispirituel, femme ».

Quant à l’orientation sexuelle, on lui propose la liste suivante : « hétérosexuel, gai, lesbienne, bisexuel, bispirituel, pansexuel, asexué, autre ». Finalement, une série de pronoms pour se désigner lui est aussi soumise, comprenant les pronoms suivants : « ei, elle, il, ille, lu, ol, ul ».

Les réponses aux questions sont facultatives, précise la Banque Scotia dans son formulaire.

« Si vous acceptez de les fournir, la Banque Scotia pourrait les utiliser dans le cadre de ses initiatives et programmes spéciaux pour la diversité et l’inclusion, conformément à la Loi sur l’équité en matière d’emploi, ainsi qu’à d’autres fins, y compris pour administrer ses pratiques d’embauche liées à la diversité et à l’inclusion. »

Ce préambule ne rassure pas Mme Lambelin.

« Quand on est en processus d’embauche, on est en situation de vulnérabilité, dénonce-t-elle en entrevue avec La Presse. On se questionne : si je donne cette information-là, ou pas, est-ce que ça va me porter préjudice ? Je trouve que ça n’a vraiment pas sa place. »

« Généralement interdit par la loi »

À la Banque Scotia, on indique que le but de ces questions est « de créer une culture plus diversifiée et inclusive et d’identifier s’il y a des lacunes dans nos processus de recrutement et de rétention », explique Mathieu Beaudoin, directeur des affaires publiques. Par ailleurs, les informations recueillies ne sont pas « accessibles auprès des personnes qui procèdent aux décisions d’embauche ».

Un tel questionnaire pourrait contrevenir à la Loi canadienne sur les droits de la personne, à laquelle sont assujetties les banques.

En vertu de cette loi, il est « interdit de poser des questions dans les annonces d’emploi, les formulaires d’embauche et les candidatures, qui demandent (obligatoirement ou non) ou poussent les personnes à révéler des informations liées à des motifs protégés [par la loi, dont l’identité et l’expression de genre], à moins qu’il y ait une exigence ou une justification professionnelle non discriminatoire légitime », affirme Véronique Robitaille, gestionnaire des communications à la Commission canadienne des droits de la personne.

« Demander à une femme si elle est enceinte ou si elle envisage de l’être, ou demander à quelqu’un quelle est sa race, sa religion, son orientation sexuelle ou son identité de genre, par exemple, est généralement interdit », précise Mme Robitaille.

Une approche « maladroite »

Pour Pascal Vaillancourt, directeur général d’Interligne, organisme qui offre du soutien aux personnes LGBTQ+, il est positif qu’une banque « ait une réflexion sur ses pratiques ».

« Encore aujourd’hui, on sait que les personnes issues d’une minorité LBGTQ+ sont moins souvent dans des postes de direction, et qu’une personne sur deux n’ose pas dévoiler son orientation sexuelle ou son identité de genre dans son milieu de travail, rappelle-t-il. Elles ont peur d’être discriminées ou de ne pas avoir accès aux mêmes avantages que les autres. »

Cependant, l’inclusion ne doit pas se résumer à des questions sur un questionnaire.

Je trouve ça maladroit, parce que beaucoup de personnes vont cacher leur orientation sexuelle au début, jusqu’à ce qu’elles sentent que le milieu est ouvert. Je comprends très bien qu’une personne LGBTQ+ à qui on demande son orientation sexuelle sur un questionnaire, alors qu’elle ne connaît pas les valeurs de l’organisation, trouve ça préoccupant.

Pascal Vaillancourt, directeur général de l’organisme de soutien aux personnes LGBTQ+ Interligne

Les personnes LGBTQ+ ne font pas non plus partie des quatre groupes protégés par la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Cette loi vise à corriger les désavantages subis par les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et celles faisant partie de minorités visibles en matière d’accès à l’emploi.

« Je pense que ce genre de situation témoigne du fait qu’on est dans un contexte évolutif, d’une part, et qu’il y a des tentatives de toutes sortes mises en place par des organisations qui veulent se montrer sensibles aux minorités, d’autre part », estime Hélène Lee-Gosselin, professeure émérite de l’Université Laval et spécialiste des questions d’équité.

À son sens, le contexte social a évolué depuis l’apparition des lois en matière d’équité. « Il y a des groupes qui revendiquent la reconnaissance de leurs droits. Et à l’intérieur de ces groupes-là, il y a des gens qui revendiquent haut et fort leur différence et ne veulent pas qu’elle joue contre elles. »

Que des organisations comme la Banque Scotia incluent les communautés LGBTQ+ dans leurs mesures d’équité et de diversité est, selon elle, avant-gardiste. « Elles sont à l’avant du droit, soutient Mme Lee-Gosselin, car elles ne sont protégées ni par la loi provinciale ni par la loi fédérale. »

En savoir plus
  • 1 million
    Nombre de Canadiens LGBTQ+
    Source : Statistique Canada, recensement de 2021
    4 %
    Proportion de personnes de 15 ans et plus LGBTQ+ en 2018 au Canada
    Source : Statistique Canada