Les drogues contaminées et les médicaments contrefaits frappent des Québécois de tous les âges, de toutes les régions et de tous les milieux. Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

De nombreux parents craignent que leurs enfants ne succombent à une surdose de drogue. Anicia Boyer Dupuis, elle, s’inquiétait pour son père.

Un père qu’elle décrit comme un « vrai tannant », un « trippeux solide ». Un homme qui a élevé sa fille au milieu des fêtes, des amis qui débarquent, des bouteilles, des joints et d’autres substances qui se consommaient plus ou moins à l’insu de la petite.

Mais un père qui était aussi complètement fou de sa « princesse trop gâtée » — sa fille unique qu’il cajolait, faisait rire et embarquait dans toutes ses folies.

« C’était le père le plus merveilleux au monde. C’était un père tellement attentionné, à l’écoute de sa fille. J’étais vraiment très chouchoutée », dit Mme Boyer Dupuis.

Gaston Dupuis est mort en 2020 dans sa roulotte du camping du Lac des Pins, en Montérégie, d’une surdose provoquée par un mélange de drogues et de médicaments. Il avait 63 ans.

Je ne voulais pas me l’admettre, mais je savais qu’un jour, j’allais trouver mon père dans un état de surdose.

Anicia Boyer Dupuis, fille de Gaston Dupuis

Attablée à extérieur de sa maison de Sainte-Martine, Mme Boyer Dupuis raconte la vie de son père en puisant dans une boîte de photos.

Les premiers clichés, en noir et blanc, montrent un garçon à l’air espiègle dans une école religieuse.

Plus tard, on voit le jeune homme à moto. Puis, une bouteille à la main, tout sourire et torse nu, entouré d’amis.

« C’était les années 1970. Mon père et ma mère prenaient de l’alcool, des drogues, un peu de tout. Je sais que j’ai moi-même été conçue sur l’acide ! », raconte Anicia Boyer Dupuis.

Quand celle-ci a 7 ans, ses parents se séparent. Gaston Dupuis, qui travaille comme machiniste pour l’entreprise Héroux-Devtek, s’installe dans un quatre et demie situé dans un sous-sol de Longueuil. Sa fille vit en grande partie avec lui.

« C’était toujours le party chez moi », se souvient Anicia Boyer Dupuis. Mais malgré le bruit et la police qui débarque parfois, elle affirme n’avoir manqué de rien.

« Sa priorité, c’était moi », dit-elle. Son père est un « cordon bleu » qui cuisine alors des crêpes et des beignes qui font le bonheur de sa fille… et de toutes les « mamans célibataires » du voisinage.

Gaston Dupuis amène Anicia partout et ne prend aucune décision sans elle. « S’il achetait une voiture, je l’accompagnais et je choisissais la couleur », illustre-t-elle, se remémorant une Honda Civic baptisée Cocotte.

« J’avais tellement un lien fort et fusionnel avec mon père que ça faisait peur à bien des femmes. Il a eu des amourettes, mais ça n’a jamais duré », dit Anicia Boyer Dupuis.

Quand sa fille a besoin de ses premières serviettes hygiéniques ou de ses premiers soutiens-gorge, c’est son père, malhabile, mais plein de bonne volonté, qui la traîne dans les magasins et demande l’aide des vendeuses.

Et lorsque Anicia tombe enceinte, parce que le futur père est peu présent, c’est encore Gaston Dupuis qui prend congé du travail pour accompagner sa fille aux échographies.

« Ses petits-enfants, il s’en est occupé comme s’ils avaient été ses propres enfants », dit Mme Boyer Dupuis, qui montre des photos de « grand-papa Gaston » déguisé pour l’Halloween avec les petits.

Quand les médicaments s’ajoutent aux drogues

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

« Mon père était toxicomane, alcoolique et accro à la médication, dit Anicia Boyer Dupuis. Malgré ça, je n’aurais pas pu avoir un meilleur papa. »

Mais la vie devient de plus en plus difficile pour Gaston Dupuis. Un vieil accident de moto aggravé par le travail physique revient le hanter. Il subit trois opérations au dos, chacune le laissant plus limité. Il souffre bientôt de dépression.

« L’été, il était au camping et c’était mieux. Mais les hivers étaient durs », témoigne sa fille.

M. Dupuis prend des médicaments contre la douleur et la dépression, qu’il mélange allègrement avec l’alcool et les drogues.

En 2020, Anicia reçoit elle-même un diagnostic de cancer de la peau.

Pour lui, ça a fait déborder le vase.

Anicia Boyer Dupuis, fille de Gaston Dupuis

Gaston Dupuis se rend constamment chez sa fille pour l’épauler. Mais il est si mal en point que c’est plutôt elle qui doit prendre soin de lui. « Je combattais mon cancer, j’avais mes enfants, il était toujours après moi… C’était trop », dit-elle.

« À un moment donné, on a eu une chicane. Je lui ai dit : retourne au camping, j’ai besoin d’un break », continue Mme Boyer Dupuis, dont la voix se brise.

« Ça a été le coup fatal », dit-elle, au bord des larmes.

Le lendemain, Gaston Dupuis est retrouvé mort dans sa roulotte par des voisins. Des traces de cocaïne et de plusieurs médicaments sont retrouvées dans son organisme.

« Mon père était toxicomane, alcoolique et accro à la médication, dit Anicia Boyer Dupuis. Malgré ça, je n’aurais pas pu avoir un meilleur papa. »