Le gouvernement du Québec reporte une fois de plus l’entrée en vigueur des dispositifs électroniques d’enregistrement des heures de conduite des camionneurs, qui était prévue le 1er janvier prochain, après déjà plus d’un an et demi de retard sur la majorité des autres provinces du pays. L’industrie québécoise du camionnage fulmine et accuse le ministère des Transports du Québec (MTQ) et la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) de « mettre en danger les usagers de la route ».

Depuis plusieurs semaines, des dizaines de grandes entreprises de transport, l’un des plus importants assureurs de leur industrie et même le syndicat des Teamsters, qui représente entre 12 000 et 15 000 camionneurs au Québec, font parvenir des lettres à la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, pour qu’elle s’assure « de l’entrée en vigueur de ladite réglementation à compter du 1er janvier 2023, que cette date soit la date ultime, et qu’aucun autre report ne soit envisagé ».

« On est en furie », affirme d’emblée Michel Robert, président du Groupe Robert, joint par La Presse. Le Groupe Robert, de Boucherville, possède un parc de plus de 1000 camions qui roulent sur toutes les routes de l’Amérique du Nord équipés de ce dispositif, déjà obligatoire aux États-Unis… depuis 2017 !

« C’est incompréhensible, déplore l’homme d’affaires. Est-ce que c’est du fonctionnariat à haut niveau ou de l’incompétence, je ne le sais pas. Mais à compter du 1er janvier prochain, on va être la seule province au Canada qui n’aura pas entériné toute la réglementation sur la mise en place des DCE [dispositifs de consignation électronique] », pour les déplacements à l’intérieur du Québec, puisque les DCE seront alors obligatoires partout autour du Québec.

À l’origine, la réglementation fédérale sur l’utilisation de ces appareils appelés dispositifs de consignation électronique devait entrer en vigueur partout au Canada en juin 2021.

Après deux reports auxquels l’industrie avait consenti de mauvaise grâce, le PDG de l’Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux, affirme que l’ex-ministre des Transports, François Bonnardel, avait assuré à l’ensemble des transporteurs réunis en avril pour leur congrès annuel que le Québec serait prêt à prendre le virage du « logbook » numérique, où les heures de conduite des chauffeurs sont consignées électroniquement sur un appareil impossible à trafiquer, directement branché sur le moteur du camion.

La rumeur venue d’Ottawa

Le 3 novembre dernier, une rumeur a commencé à courir à Ottawa, selon laquelle le Québec était la seule province à ne pas avoir confirmé l’entrée en vigueur du règlement sur les DCE pour le 1er janvier prochain lors d’une rencontre du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, un organisme de concertation entre les provinces sur la mise en application des règles fédérales sur le transport. Depuis, la colère gronde dans l’industrie du camionnage.

« Tout le monde va payer le prix de cette décision-là », a dénoncé le président de la section locale 106 des Teamsters Québec, Jean Chartrand.

On sait tous que les compagnies de chaudrons veulent encore travailler avec des “logbooks” en papier, dans lesquels tu peux écrire n’importe quoi. Les compagnies sérieuses, qui respectent leurs chauffeurs, travaillent déjà avec des DCE, et dans bien des cas, depuis des années.

Jean Chartrand, président de la section locale 106 des Teamsters Québec

Dans sa lettre à la ministre, il affirme aussi que ces appareils « favorisent la sécurité routière, la conformité, le respect du règlement sur les heures de conduite et de repos et permettent une meilleure gestion de la fatigue en conduite de véhicules lourds ».

« Qu’est-ce qu’on attend ? »

« Il y aura toujours un segment, dans n’importe quelle industrie, pour lequel le changement dérange, ajoute Marc Cadieux. Mais dans le cas présent, toutes les plus grosses entreprises de camionnage ont écrit à la ministre pour réclamer le maintien de l’échéance. Une des plus importantes compagnies d’assurance de notre secteur s’inquiète des délais. Même les syndicats exigent que le règlement soit mis en vigueur dès le 1er janvier. Alors, qu’est-ce qu’on attend ? Il n’y a pas de remise en question des DCE. »

Au cabinet de la ministre Guilbault, on a renvoyé les questions de La Presse à la Société de l’assurance automobile du Québec, qui est responsable de la mise en vigueur du règlement.

« Le processus législatif pour l’entrée en vigueur du Règlement modifiant le Règlement sur les heures de conduite et de repos des conducteurs de véhicules lourds suit son cours. Notre intention est toujours de rendre obligatoire le dispositif de consignation électronique (DCE) », a fait savoir la SAAQ dans un courriel de deux lignes à La Presse, qui ne suggère aucune date d’entrée en vigueur.