Au moins 22 femmes autochtones ont rapporté avoir subi une stérilisation forcée au Québec depuis 1980. Un dernier cas remonte même à 2019, révèle un premier rapport de recherche sur le consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées des femmes des Premières Nations et des Inuits. « Un constat clair [de] la présence de racisme systémique », concluent les chercheurs.

Les faits rapportés sont graves. On évoque des avortements et hystérectomies imposés. Des ligatures des trompes menées sans le plein consentement des patientes. Parfois immédiatement après un accouchement. Les femmes qui ont témoigné ont aussi énuméré plusieurs violences obstétricales.

L’équipe de recherche, menée par Suzy Basile et Patricia Bouchard de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), a récolté les témoignages de 35 participantes, dont 14 Atikamekw et 10 Innus. L’âge au moment des interventions varie entre 17 et 46 ans. La plus ancienne intervention rapportée remonte à 1980 et la plus récente, à 2019.

Les chercheurs concluent qu’il y a bel et bien eu des stérilisations et avortements imposés de femmes autochtones au Québec, et que la province « se joint donc au cortège des autres provinces et territoires canadiens » où de telles situations ont été documentées.

L’étude conclut à des « manquements graves » et des « fautes déontologiques majeures » commis par le personnel médical.

« Ces pratiques passées sous silence semblent soutenir la reproduction de propos discriminatoires et d’attitudes coloniales envers ces femmes », écrivent les chercheurs, qui recommandent au gouvernement Legault de reconnaître le racisme systémique, ce qu’il refuse de faire jusqu’à présent.

« L’analyse des témoignages recueillis dans le cadre de la présente recherche, juxtaposée aux conclusions des récents travaux de recherches menées au Québec, converge vers un même constat, soit la présence évidente du racisme systémique », écrit-on. Co-auteure du rapport, Patricia Bouchard, de l’UQAT, mentionne que le phénomène des stérilisations forcées était bien documenté dans l’ouest du pays. Mais peu dans l’est. « Il était nécessaire de le faire », dit-elle. Pour elle, ce qui permet de conclure à la présence de racisme systémique est « l’effet de cumul, le continuum de violences que les femmes ont vécu au sein des hôpitaux québécois ».

« Le fait que chaque fois qu’elles passent les portes d’un hôpital, elles ont peur », dit-elle.

Les travaux ont été lancés au printemps 2021 avec la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et Labrador (CSSSPNQL). Il s’agit d’une première recherche sur le sujet au Québec.

« Les faits allégués dans le rapport sont complètement inacceptables ! », ont déclaré le ministre de la Santé, Christian Dubé, et le ministre responsable des relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, dans une déclaration conjointe.

« On va faire les vérifications qui s’imposent pour faire toute la lumière sur la situation. On parle quand même de cas assez récents, qui seraient arrivés entre 1980 et 2019. C’est une ÉVIDENCE : en plein accouchement, ce n’est pas le moment de prendre des décisions aussi majeures et surtout irréversibles. Qu’on se le dise clairement, ce genre de décision ne regarde personne d’autre que la femme qui la prend, ce n’est pas à son médecin de décider pour elle ! », ajoutent-ils.

Le gouvernement Legault s’est par ailleurs engagé à enchâsser le principe de sécurisation culturelle dans la Loi sur la santé et des services sociaux.

Un « viol de leur intégrité physique »

« Cette recherche a permis de révéler le haut degré de violence coloniale d’une réalité odieuse et méconnue, relevant du génocide, dans un contexte aussi intime que celui des soins en gynécologie et obstétrique envers nos mères et nos sœurs », déplore de son côté le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et Labrador, Ghislain Picard.

« La stérilisation imposée subie par les femmes autochtones est un viol de leur intégrité physique et psychologique ainsi qu’un vol du droit fondamental de porter des enfants à leur issue », a-t-il ajouté.

Le rapport ne nomme pas les établissements de santé où ces interventions auraient été exécutées. On indique en revanche que cela a été pratiqué dans les villes de Roberval, La Tuque, Val-d’Or, Joliette et Sept-Îles, toutes des municipalités à proximité de communautés.

Dans la foulée d’enquêtes journalistiques qui rapportaient des cas de femmes autochtones ayant subi une stérilisation forcée, en septembre 2021, le premier ministre François Legault avait qualifié ces pratiques de « barbares » et « totalement inacceptables ». Un rappel a été fait par le Collège des médecins pour que cesse ce genre de pratiques.

Des « pressions » du personnel médical

Les femmes ont rapporté avoir subi des pressions du personnel médical pour subir une ligature des trompes ou une hystérectomie, une intervention chirurgicale qui consiste à enlever l’utérus. Dans la plupart des cas, l’intervention survient après l’accouchement.

Une participante relate même avoir signé le formulaire de consentement pour la ligature des trompes alors qu’elle était en travail.

Des femmes autochtones ont d’ailleurs rapporté avoir appris qu’elles avaient subi une ligature que « plusieurs années » après l’intervention, alors qu’elle n’arrivait plus à enfanter.

Des femmes ont aussi affirmé avoir subi des formes de « violences obstétricales » de la part du personnel médical, comme de « tenir des propos et commentaires empreints de jugements et de mépris » ou « des attitudes de dédain, d’indifférence » à l’égard des patientes.

« Les témoignages font état à maintes reprises de propos discriminatoires liés à l’identité autochtone », peut-on lire dans le rapport.

Dans un cas, un médecin aurait proposé une ligature des trompes à une patiente, ce qu’elle a d’abord refusé. « Il m’a dit […] : “Vous ne trouvez pas que vous en avez assez là ? C’est assez, il faut que ça arrête, ça. Tous les enfants que vous avez mis au monde vont tous vivre dans la misère” », rapporte la femme autochtone.

Une autre participante a même affirmé avoir subi « des pressions » pour « donner son enfant en adoption » lors d’une deuxième grossesse difficile. « Ce serait peut-être mieux [que tu te fasses avorter] » lui aurait suggéré une infirmière, rapporte-t-on.

D’ailleurs, « de manière inattendue, le thème des avortements imposés a émergé » lors de l’enquête. Trois femmes affirment avoir subi des avortements sans leur consentement.

La question de la barrière de la langue est aussi soulignée. Aucune des femmes ayant témoigné ne s’est fait offrir l’intervention d’un interprète au moment des évènements, et ce, même si « la majorité d’entre elles parlent une langue autochtone au quotidien ». Plusieurs femmes ont souligné « l’hostilité du personnel médical » et la « peur » ressentie.

« L’analyse des douloureux récits des participantes montre que la mise à mal du consentement libre et éclairé, par l’absence, l’inexactitude ou le peu d’informations données aux femmes (dans une deuxième, voire une troisième langue) sur leur condition de santé et sur la procédure qu’elles allaient subir, est hautement problématique et entraîne des répercussions indélébiles sur leur santé physique et psychologique de même que sur leur vie personnelle », concluent les chercheurs.

Celles-ci émettent 31 recommandations, notamment au gouvernement du Québec, dont :

  • Reconnaître le principe de Joyce.
  • Reconnaître le racisme systémique.
  • Convoquer le Collège des médecins afin que tous les moyens nécessaires soient pris pour faire cesser cette pratique.
  • Financer adéquatement le déploiement de la formation de doulas au sein des communautés des Premières Nations et Inuits ainsi que des services de sages-femmes dans les communautés des Premières Nations et Inuits, en plus de ceux déjà existants.

Directrice générale de la CSSSPNQL, Marjolaine Sioui espère que les recommandations du rapport ne resteront pas lettre morte. Pour elle, « le gouvernement du Québec doit arrêter d’être dans le déni ». « Ça va prendre combien de rapport pour comprendre qu’il y a bel et bien du racisme systémique au Québec ? » demande-t-elle. Mme Sioui espère qu’une deuxième phase de recherche ira de l’avant. Notamment pour entendre de dix à vingt témoins supplémentaires, qui n’ont pu être rencontrées durant la première phase à cause de la pandémie.

Le Collège des médecins a qualifié la situation rapportée dans le rapport de « bouleversantes et complètement inacceptable ». « Le consentement aux soins est l’un des principes fondamentaux de la médecine. Il ne peut y avoir de compromis. Nous lirons avec intérêt le rapport et ses recommandations », a indiqué l’ordre professionnel sur Twitter.