Déjà bannie en Allemagne et bientôt interdite en France, la mise à mort systématique des poussins mâles dans l’industrie des poules pondeuses pourrait bientôt cesser dans l’ensemble de l’Europe. Au Québec, les grands acteurs de l’industrie avicole estiment que les technologies d’« ovosexage » – qui permettent d’identifier les embryons mâles dans l’œuf – ne sont pas encore suffisamment au point pour mettre fin à la pratique ici.

« C’est très, très nouveau », souligne le président de la Fédération des producteurs d’œufs du Québec, Paulin Bouchard. « Toute l’industrie au Canada, on est un peu emballé par ça […]. Quand l’opportunité va être là, que la fenêtre va être ouverte et que l’outil va répondre à nos besoins, c’est clair que tout le monde veut aller là », ajoute-t-il.

Trop décharnés pour être éventuellement mangés et incapables de pondre, les poussins mâles sont généralement tués dans les jours suivant leur éclosion.

Chaque année, au Canada, environ 27 millions de poussins mâles sont éliminés dès leur naissance, confirme M. Bouchard.

Mi-octobre, l’Agence France-Presse rapportait que les ministres européens de l’Agriculture étaient prêts à envisager une interdiction dans l’Union européenne du « broyage routinier » des poussins mâles. Car certaines entreprises disposent des oisillons en les envoyant vivants dans des broyeurs industriels.

Lors d’une rencontre au Luxembourg, Paris et Berlin ont plaidé pour que cette interdiction soit étendue à l’échelle de l’Union européenne, qui travaille actuellement à moderniser sa législation sur le bien-être animal. L’Allemagne interdit la mise à mort des poussins mâles depuis 2022 et la France lui emboîtera le pas en janvier prochain.

Avancées technologiques

Cette avancée est possible grâce à différentes technologies appelées « ovosexage ». Le nom le dit : il s’agit de déterminer le sexe dans l’œuf. Cela permet de détruire les oeufs fécondés avant leur éclosion. Plusieurs projets sont toujours au stade de la recherche. L’Université McGill travaille d’ailleurs depuis plusieurs années sur un projet, en partenariat avec les producteurs d’œufs de l’Ontario.

Sur le marché, deux grandes techniques ont été commercialisées. La première consiste à percer un minuscule trou à travers la coquille de l’œuf pour prélever du « liquide allantoïque » dont la teneur en hormones sera ensuite analysée.

PHOTO DIRK BANNERT, FOURNIE PAR IN OVO

L’entreprise néerlandaise In Ovo a mis au point une technologie nommée Ella qui permet de déterminer le sexe de l’embryon dans l’œuf à l’aide de biomarqueurs. Le projet est notamment financé par l’Union européenne.

Une autre approche moins invasive, la spectroscopie, fonctionne un peu comme une échographie. Les œufs sont éclairés avec une lumière vive et le sexe est déterminé en fonction de la couleur du duvet de l’embryon.

« Quand les gens vous disent que ces technologies, ce n’est pas tout à fait au point, c’est la réalité », affirme Jean-Michel Laurin, président et chef de la direction du Conseil canadien des transformateurs d’œufs et de volailles.

Plus facile avec des œufs bruns

Il cite en guise d’exemple « un gros bémol » : la technologie de spectroscospie utilisée en France donne surtout de bons résultats avec les œufs bruns. Il souligne que plus de la moitié des œufs vendus en France sont bruns, alors que l’écrasante majorité des œufs vendus au Québec sont blancs. Les intervenants sondés estiment par ailleurs que la cadence d'identification est encore trop lente.

« C’est un sujet qui nous intéresse évidemment beaucoup », affirme-t-il cependant. « C’est pour cela qu’on parle beaucoup avec nos collègues en France, parce qu’on sait que c’est pas mal le pays qui est le plus en avance. Donc, si on est capables d’apprendre de leur expérience puis d’en tirer des leçons, puis de voir un peu comment on s’organise, ça serait l’idéal. »

Au Québec, il n’y a qu’un seul couvoir qui produit des œufs qui deviendront des poules pondeuses, le couvoir Boire & Frères. Le président-directeur général de l’entreprise, Éric Bienvenue, indique que les poussins mâles y sont euthanasiés au dioxyde de carbone, un processus qui dure cinq minutes, au bout duquel ils « s’endorment tranquillement ». Les poussins sont ensuite utilisés dans l’alimentation animale.

« Nous, l’ensemble des intervenants et même l’industrie canadienne, sommes également très préoccupés par ce procédé et cherchons des solutions pour améliorer le tout. Bien que la technologie évolue, elle n’est pas encore au point ni disponible au Canada pour l’instant », a-t-il indiqué.

En savoir plus
  • 300 millions
    Nombre de poussins mâles exterminés en Europe chaque année
    Source : Agence France-Presse