La Ville de Montréal a payé 1 million de dollars en loyer depuis janvier pour un centre communautaire inexistant dans l’ancien Hôpital de Montréal pour enfants, a appris La Presse. L’administration municipale, qui devra continuer de payer des millions au cours des années à venir pour cette coquille vide au centre-ville, ignore désormais quand son projet de centre pourra voir le jour.

« Une oasis qui place l’humain au cœur de ses actions ». Un établissement « dirigé par la communauté dans l’esprit du Community Led ». Un endroit à la programmation « riche et variée » qui portera « une double signature numérique et musicale ». Dans un message envoyé à La Presse cette semaine, le service des relations de presse de la Ville ne tarissait pas d’éloges envers le futur Centre communautaire Sanaaq, qui doit voir le jour à l’angle de l’avenue Atwater et du boulevard René-Lévesque Ouest.

L’établissement, dont le nom rappelle le titre du tout premier roman inuit écrit dans le nord du Québec, « est grandement attendu par les citoyens », a expliqué Hugo Bourgoin, porte-parole de la Ville.

Mais le projet tarde à se réaliser. Le promoteur Devimco, qui érige depuis des années un gigantesque complexe immobilier sur le site de l’ancien hôpital pédiatrique, a livré en janvier dernier la « coquille » sur son terrain, où doit être aménagé le centre. La Ville en a pris possession, mais elle était loin d’être prête à l’utiliser.

Elle a tout de même dû commencer à payer au promoteur un loyer de 125 000 $ par mois.

Appel d’offres annulé

En mars, la Ville a finalement lancé un appel d’offres pour trouver une firme qui réaliserait les travaux d’aménagement du centre. Les prix soumis par tous les candidats dépassaient de loin ce que Montréal était prêt à payer. Au terme du processus, à la fin d’avril, le gagnant était l’entreprise Groupe Geyser, qui proposait de compléter l’aménagement pour 38 millions de dollars (les autres soumissionnaires estimaient leurs coûts à 38,7 millions et 48 millions respectivement).

La Ville a finalement annulé l’appel d’offres cet été, « car le montant de la soumission du Groupe Geyser était beaucoup plus élevé que les coûts estimés », explique M. Bourgoin.

« Un nouvel appel d’offres sera lancé sous peu », assure le porte-parole, sans pouvoir dire quand. Une fois l’appel lancé, il faudra donner du temps aux entrepreneurs pour étudier les plans et devis, puis soumettre leurs offres. Lorsque le contrat sera finalement attribué, la Ville estime qu’il faudra encore 18 mois avant que le centre puisse ouvrir.

Pendant ce temps, la Ville continue de payer son loyer à Devimco. Avec la facture du mois de septembre qui vient d’être acquittée, les montants versés pour cet espace inoccupé représentent déjà 1 063 363 $.

Même si le contrat était accordé demain matin, il faudrait encore débourser 2,2 millions en loyer de plus pendant 18 mois, soit d’ici la fin des travaux.

Enquête publique réclamée

La Ville mise beaucoup sur le centre communautaire qui fera partie du mégaprojet immobilier bâti sur le terrain de l’ancien hôpital, dans le quartier Peter-McGill. Lorsque l’établissement public a été cédé à des promoteurs privés à des fins de développement immobilier, le projet présenté à la population comportait une école, des logements sociaux et un centre communautaire public.

L’idée d’inclure une école est tombée à l’eau faute d’entente entre les promoteurs, le Ministère et la commission scolaire. L’inclusion de logements sociaux a aussi été abandonnée parce que la Ville et les promoteurs ne s’entendaient pas sur les coûts de construction. Ne reste que le centre communautaire.

« L’inclusion de logements sociaux sur le site, la construction d’une école ainsi qu’un centre communautaire constituaient pour les citoyens de Peter-McGill les trois éléments rendant socialement acceptable la densité élevée proposée pour le site », rappelait cette semaine l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), dans un rapport sur l’une des tours du projet qui demeure à ériger.

La Commission constate que le nouveau complexe immobilier ne comprend qu’un seul des trois éléments demandés.

Extrait du rapport de l’OCPM

L’OCPM cite aussi le commentaire de plusieurs intervenants, qui ont souligné pendant la consultation que le loyer « coûtera très cher à la Ville annuellement ». L’entente avec Devimco prévoit que la Ville versera un loyer au centre pendant 40 ans.

Le rapport souligne que « plusieurs participants » à la consultation réclament aujourd’hui une enquête publique sur cette affaire, « afin de faire la lumière sur les irrégularités dans le traitement de ce dossier ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Goulet, président de Devimco

Jeudi, le président de Devimco, Serge Goulet, s’est d’ailleurs dit d’accord avec l’idée d’une enquête publique, lors d’un entretien avec Le Devoir.

« Si des gens veulent faire la lumière parce qu’ils pensent qu’il y a des zones d’ombre, moi, ça va me faire plaisir », a-t-il déclaré au quotidien.