(Montréal) Le premier ministre Justin Trudeau accueille favorablement la lettre ouverte de journalistes et de médias réclamant des mesures pour lutter contre les menaces, le harcèlement et l’intimidation des membres de la presse.

Le jour même où la question des menaces contre les politiciens est à l’avant-scène de l’actualité, près d’une cinquantaine de médias et d’associations de journalistes ont rendu publique jeudi une lettre ouverte demandant à Justin Trudeau d’intervenir pour contrer le même phénomène envers les journalistes.

« Nous nous devons de comprendre que notre démocratie même est en jeu », a affirmé le premier ministre, de passage à Winnipeg.

« La capacité des journalistes de bien faire leur travail pour poser des questions difficiles et parfois inconfortables, pour être là pour partager la vérité, pour mettre au défi les citoyens et les instances de pouvoir, est essentielle. »

Miner la confiance

Selon M. Trudeau, ces menaces visent à « miner la confiance des gens dans notre démocratie, mais aussi l’habileté de nos journalistes de pouvoir faire leur travail sans peur et sans être inquiet pour le bien-être de leurs familles ».

« Tous les politiciens doivent être unanimes dans leur condamnation de l’intimidation, de la violence contre ceux qui font leur travail, que ce soit d’autres politiciens ou que ce soit des journalistes », a martelé le premier ministre.

Dans sa lettre ouverte, le milieu de l’information se mobilise contre ce qu’il qualifie de « problème croissant et alarmant de la haine et du harcèlement en ligne qui visent les journalistes et le journalisme en tant que profession ».

Les signataires soulignent que ce problème, qui affecte de manière disproportionnée les journalistes racisés et les femmes, s’aggrave malgré de nombreuses sorties d’organisations diverses.

La liberté d’expression n’est pas absolue

Rejoint par La Presse Canadienne, le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Michaël Nguyen, a fait valoir que « depuis une quinzaine d’années, il y a des reportages sur des gens qui se font condamner pour des propos qu’ils tiennent sur les réseaux sociaux ». Les policiers, souligne-t-il, rappellent constamment que ce qu’on dit sur le web, c’est la même chose que si on le dit en personne.

« C’est important de le rappeler aux gens parce que, de toute évidence, le mémo n’est pas passé chez certaines personnes », déplore M. Nguyen.

Les tribunaux rappellent constamment que la liberté d’expression, bien que vitale, n’est pas sans limites, fait valoir le président de la FPJQ. « Il peut arriver qu’une personne dépasse le commentaire politique permis et adopte une conduite criminelle interdite. […] La liberté d’expression n’est pas absolue : elle ne permet pas de menacer, de harceler. On peut critiquer, mais dès que ça devient des attaques, dès que c’est fait pour que la personne visée ait des craintes pour sa sécurité, là on vient de passer dans le côté criminel. »

Policiers interpellés

Les signataires de la lettre demandent donc aux corps policiers d’agir sur plusieurs fronts. Par exemple, puisque de nombreuses menaces utilisent le même langage, de ne pas les traiter comme des incidents isolés, mais bien comme une menace plus large par une approche globale. Ils demandent également aux policiers d’améliorer leur traitement des plaintes de cette nature, eux qui ont souvent tendance à les minimiser.

« Les corps policiers d’à travers le pays ne prennent pas assez souvent au sérieux les menaces envers les journalistes, les traitent souvent comme des évènements isolés et n’essaient pas de comprendre que ça fait partie d’un ensemble de “patterns”, que ça fait partie d’une approche concertée pour miner l’habileté de notre démocratie de fonctionner, l’habileté des journalistes de faire leur travail pour souligner ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans notre société », a reconnu Justin Trudeau.

Au Québec, par contre, la situation commence à changer, précise Michaël Nguyen. « Durant l’été, la FPJQ a parlé avec des corps qui nous ont dit qu’il ne faut pas hésiter à porter plainte et que les plaintes sont prises au sérieux, vont être enquêtées et s’il y a matière à déposer des accusations, ça va être fait. »

Concrètement, les auteurs de la lettresouhaitent aussi que les policiers puissent recevoir et traiter comme un tout des rapports d’incidents multiples provenant de médias et d’accepter le dépôt de plaintes par les médias comme organisation plutôt que traiter chaque plainte des journalistes individuellement.

« La haine est payante »

Aux politiciens, les organisations médiatiques demandent de se pencher sur la manière dont les plateformes de médias sociaux traitent, ou plutôt négligent de traiter, les contenus intimidants, menaçants ou haineux en ligne.

« Ceux qui peuvent contrôler ça, ce sont les réseaux sociaux eux-mêmes, fait valoir Michaël Nguyen. On parle de superpuissances numériques. Ils ont les moyens avec l’intelligence artificielle, ils ont les ressources. »

Selon lui, il faudrait toutefois les forcer à le faire.

« Ça ne les intéresse pas parce que plus ça génère d’émotions, les publications sur l’internet, plus ça leur rapporte de l’argent avec les revenus publicitaires parce que ça créée de l’interaction.

« La haine est excessivement payante parce que toutes les études le montrent, ce qui génère de l’interaction dans les publications sur les réseaux sociaux, c’est l’émotion. Oui, malheureusement, c’est payant. Au détriment de qui ? Au détriment des politiciens et des journalistes et de tout le monde qui vont sur les réseaux sociaux et qui sont exposés à ces menaces de harcèlement. »